dimanche 28 avril 2024

Allô... Amanda Lear

Conversation au téléphone avec une diva qui a tout connu et s’en amuse, du Swinging London à Dalí, de Bowie à Berlusconi...

"" Allô... Amanda Lear © Maxime Orio ""

Doit-on vraiment présenter Amanda Lear ? Un mètre soixante-dix-huit de lumière et de mystère, une idole de la pop culture dont les jambes kilométriques, la voix flambée, la fascinante ambiguïté et l’esprit vif ont fait tomber, entre tant d’autres, Bowie, les Stones et Dalí.

Disco queen aux 25 millions de vinyles vendus, diva cathodique, idéal de femme libre, c’est en tant que comédienne qu’elle a réjoui dernièrement la scène parisienne. Vaudeville survolté et décapant, L’Argent de la vieille, sur la scène du Théâtre Libre, était taillé sur mesure à la démesure de cette déesse aux mille vies. Entretien.


Harper's Bazaar : Bonjour Amanda, où êtes-vous ?


Amanda Lear : Bonjour, je suis dans ma maison en Provence. Il fait un soleil magnifique.

Pouvez-vous me décrire ce que vous avez devant les yeux ?

Je vois mon jardin, ma piscine, mes oliviers, mon abricotier, mon amandier en fleur, signe que le printemps arrive. Je suis entourée de mes chats. J’adore être ici, et je déteste la vie à Paris chaque jour un peu plus.


Vous y êtes pourtant au théâtre tous les soirs…

Oui, mais comme le dimanche je joue l’après-midi et que le lundi et le mardi je suis off, une fois sortie de scène je saute dans un train pour venir me réfugier ici.

Dans L’Argent de la vieille, vous incarnez une milliardaire égocentrée, antipathique, manipulatrice, cynique, un peu cruelle. Vous aimez jouer les méchantes ?

C’est jouissif ! Et pas que pour moi d’ailleurs. Plus je dis des horreurs, plus je suis odieuse, plus les gens rient. Je pensais qu’ils allaient me siffler ou me balancer des tomates, c’est tout le contraire. Au cinéma, j’ai toujours adoré les méchantes. Toute petite déjà, dans Blanche-Neige, j’étais fascinée par la reine que je trouvais très bien habillée, bien maquillée, très femme fatale contrairement à cette andouille de Blanche-Neige qui passe l’aspirateur pour les nains.


“Vieille” n’est vraiment pas le mot qui vient à l’esprit quand on pense à vous. Le titre de la pièce vous a gênée ?

C’est surtout qu’il ne rime à rien. À l’origine, c’est un film mythique de Luigi Comencini dont le titre original est Lo scopone scientifico, le nom d’un jeu de cartes. En français, ça aurait dû s’appeler La Belote ou Le Poker. Je ne sais pas pourquoi ils sont allés chercher ça. On me demande souvent: “Mais Amanda, tu joues quoi ? L’argent ou la vieille ?”. Non, ça ne me choque pas. Je suis actrice, si on me dit qu’il faut jouer une plante verte, je me peins en vert. Ça ne me pose aucun problème.

Vous avez incarné Joan Crawford au théâtre sous la direction de Michel Fau, aujourd’hui vous reprenez le rôle de Bette Davis, deux divas d’Hollywood. Vous-même, vous considérez-vous comme une diva ? 

Pas du tout. Diva, icône sont des mots d’un autre temps qui évoquent la Callas ou Liz Taylor. Des intouchables. Elles sont toutes au cimetière.


Pourtant, dans une interview du début des années 80, vous disiez: “Mes fans aiment que je sois capricieuse, que je sois en retard, que je fasse des éclats, que je sois voyante.” N’est-ce pas une attitude de diva ?

C’est un rôle que j’ai joué parce que les gens attendaient ça, en rêvaient peut-être parce que leur quotidien c’est d’aller à la supérette acheter des croquettes pour le chien. Mais ça n’a rien à voir avec ma réalité.

Quel est votre rapport à l’argent ?

Je le dépense. Je n’ai jamais mis un sou de côté. D’ailleurs, sur ma tombe, je ferai graver : “No more shopping”. Ce sera mon épitaphe !


Quand avez-vous pris conscience que vous aviez quelque chose d’exceptionnel ?

Toute petite. J’étais tellement moche, j’avais les dents qui couraient après le bifteck, je portais un appareil, tout le monde se foutait de moi. Je sentais que j’étais différente et pourtant je m’étais promis que je deviendrais quelqu’un. Je ne savais pas comment, mais je n’avais en tête qu’une seule chose, sortir du petit milieu bourgeois et étriqué dont j’étais issue. Dieu merci j’ai connu le Londres des années 60, la révolution culturelle. Ma vie a basculé.

Quels souvenirs gardez-vous du Swinging London ?

C’était tellement joyeux, effervescent, stimulant. On voulait changer le monde et les moeurs. Tous les jours, quelqu’un inventait un nouveau maquillage, une nouvelle mode, une nouvelle musique. Moi, j’étais mannequin, j’ai lancé la minijupe avec Mary Quant, je posais pour des photographes novateurs comme David Bailey ou Terence Donovan. J’allais au restaurant et je tombais sur Terence Stamp, Ossie Clark, Zandra Rhodes. Tout le monde se mélangeait, contrairement à aujourd’hui. Mes copines sortaient avec des stars du rock. Pattie Boyd était mariée avec George Harrison, Marianne Faithfull était avec Mick Jagger, Anita Pallenberg avec Keith Richards... On sortait tous les soirs, on portait des fringues délirantes, on se droguait pas mal. C’était une liberté inouïe.


Vous avez côtoyé Bryan Ferry, Jimi Hendrix, Brian Jones, David Bowie, John Lennon... Qui admiriez-vous le plus ?

David Bowie, plus sa personnalité que sa musique. Sa curiosité était irrésistible. Il avait quitté l’école très tôt et il était conscient qu’il lui manquait pas mal de culture, de références. Et contrairement aux autres musiciens que je fréquentais et qui ne vivaient que pour la musique, lui s’intéressait à tout. Je citais William Burroughs au détour d’une phrase, il me demandait de qui je parlais et, dès le lendemain, il allait s’acheter Le Festin nu. Un soir, pour son anniversaire, je l’ai emmené voir Metropolis au cinéma. Il n’avait jamais entendu parler de Fritz Lang, du néoréalisme allemand, de l’expressionnisme, et il était obsédé, il voulait tout savoir. Je l’ai suivi à New York, on a vécu une grande histoire d’amour avec la bénédiction d’Angie, sa femme. Ça a duré deux ans et comme il se droguait trop, j’ai fini par partir. C’est le seul homme avec lequel j’ai été qui se maquillait plus que moi. Il était mieux maquillé que démaquillé d’ailleurs.


C’est lui qui vous a poussé à chanter, non ?

Tout à fait. Il m’a même mise sous contrat. Je lui dois beaucoup.

Miss Amanda Jones, la chanson des Rolling Stones, est inspirée de vous ?

Oui, oui, en fait on ne sait pas trop. Comme je sortais avec Brian Jones qui était venu habiter chez moi, tout le monde en a déduit que c’était moi. Si vous écoutez bien les paroles, Amanda Jones est une saloperie qui dépense tout leur pognon. Ce n’est pas très flatteur...

Vous pensez que votre carrière aurait été ce qu’elle est sans Salvador Dalí ?

Dalí m’a beaucoup influencée en termes de communication, aucunement en peinture. C’est un grand artiste mais je n’aimais pas ce qu’il peignait. Paco Rabanne me l’a présenté et la première chose qu’il m’a dite, c’est : “Vous avez la plus belle tête de mort que j’ai jamais rencontrée.” Je me suis dit “quel con celui-là !”. J’étais refroidie. Je lui ai confié que je faisais les Beaux-Arts et il m’a suppliée de surtout ne jamais lui montrer mon travail sous prétexte que les femmes n’ont aucun talent. Je ne voulais pas le revoir, mais le destin en a décidé autrement. Et j’ai appris à le connaître. C’était Dr Jekyll et Mr Hyde. En public il était provocateur, insupportable, ridicule parfois. En privé, c’était un homme cultivé, talentueux, délicieux. Il était le roi de la communication. Il m’a appris que la base du business, c’est de faire parler de soi. Et il adorait “crétiniser” les médias, comme il disait.

Votre relation avec Dalí était platonique ?

Dalí était impuissant et il ne s’en est jamais caché. Il n’a jamais eu d’enfant ni de rapports sexuels avec sa femme. Il m’emmenait chez Maxim’s tous les soirs, moi en minijupe et sa femme qui suivait derrière. Tout le monde se demandait ce qu’était ce trio. Si Gala était lesbienne. Évidemment pas du tout, et Gala était une femme merveilleuse. Ça faisait jaser le Tout-Paris.


Bowie et Dalí se sont inventés des personnages. Vous aussi, non ?

Quand j’ai commencé à chanter, j’ai pris conscience que je n’avais pas une voix exceptionnelle. Et qu’il me faudrait créer un personnage. Je venais de poser pour la pochette de l’album For Your Pleasure, de Roxy Music. Bryan Ferry était fou de Kim Novak dans Vertigo et il me voulait en femme hitchcockienne, mystérieuse, inaccessible, insaisissable. Je me suis dit que c’était ce type de personnage que je devais me créer. Une femme un peu agressive, menaçante, sexy, en cuir noir, les cheveux volants partout. Un peu héroïne de BD, Barbarella, Vampirella, Pravda la survireuse. Je me suis inventée y compris dans ma façon de parler des hommes, “il faut les séduire, il faut les jeter”. Ça a foutu un coup de vieux aux chanteuses gnangnan et rassurantes des yéyés. Et ça a beaucoup influencé...

On parle de vos années à la télé italienne, de Berlusconi ?

Quand je l’ai connu, il ne faisait pas du tout de politique. C’était un grand patron de chaîne, ambitieux, qui avait le goût du luxe et voulait épater les Italiens. Les samedis soirs que j’animais sont un souvenir extraordinaire. J’étais habillée en haute couture et même les cameramen qu’on ne voit pourtant pas à l’écran étaient en smoking. Berlusconi disait : “Quand on est invité chez les gens, on s’habille.” Il a fait rêver les Italiens, qui l’adoraient. Après, quand il s’est lancé dans la politique, il a pété les plombs, s’est mis à draguer des putes et c’est parti en sucette. Tout le monde pensait que je couchais avec lui. Mitterrand m’a invitée à déjeuner pour me tirer les vers du nez. Comme quoi même les grands hommes politiques sont des midinettes. Et la réponse est non. Je n’ai jamais eu besoin de coucher pour avoir du succès. J’ai voulu avoir du succès pour pouvoir coucher. C’est tout le contraire.


Vous êtes mannequin, chanteuse, actrice, animatrice de télé, artiste peintre... Où êtes-vous la plus heureuse ?

Quand je peins. C’est mon activité la plus solitaire, la plus intime.


Quels peintres aimez-vous ?

J’adore les fauves, Gauguin, Vuillard, Bonnard. Pour moi, la peinture, c’est la couleur. C’est ce qui me procure de l’émotion.

Vous n’êtes pas très Soulages alors ?

Ah bah non ! C’est tout noir. On a beau m’expliquer qu’il joue avec la lumière, les reflets, la matière, ce n’est pas mon truc. Il devait être très dépressif ce Soulages.


Donc, vous n’êtes pas petite robe noire non plus ?

C’est une hérésie, la petite robe noire ! La femme qui la porte veut passer inaperçue, ne pas déranger. Il faut déranger ! Je n’ai rencontré Chanel qu’une seule fois, au cours d’un déjeuner au Ritz avec Dalí et ça m’a marquée. Elle était d’une méchanceté inouïe, critiquait tout, on ne pouvait pas en placer une.


Est-ce qu’il y a une question qu’on ne vous a jamais posée que vous aimeriez qu’on vous pose ? 

On ne me demande jamais si je fais bien la cuisine. C’est sans doute un endroit dans lequel on ne m’imagine pas...


Et vous la faites bien ? Pas mal oui, je fais des recettes méditerranéennes toutes simples. Des salades de tomates dans lesquelles j’ajoute une pêche pour donner un petit côté sucré ou la bruschetta. Vous connaissez ? C’est très simple. Du pain grillé frotté avec de l’ail, un filet d’huile d’olive, et une rondelle de tomate, emballé c’est pesé. J’adore l’ail. Quand je fais un poulet à l’ail, je lui mets un max de gousses dans le derrière. C’est excellent.

Vous avez des regrets, Amanda ? Bien sûr. D’avoir tourné quelques  films que j’aurais dû refuser, d’avoir chanté quelques titres auxquels tenait absolument ma maison de disques mais pas moi, j’ai fait quelques erreurs de casting dans ma vie sentimentale aussi. Tout ça n’est pas bien grave. Je ne regarde jamais en arrière et je n’ai aucune nostalgie. Seul m’intéresse ce que je peux influencer, c’est-à-dire le futur. Je crois que c’est ce qui me tient en forme.


Merci Amanda d’avoir décroché. Merci à vous d’avoir appelé. 


Direct Link Msn from Article paru dans le 12ème numéro du Harper's Bazaar France.

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