mardi 11 novembre 2025

La star sort Looking Back, un nouvel album, le 23e, et chante pour la première fois en français. Rencontre avec une survivante à l’énergie impressionnante.

Amanda Lear reçoit au bar du Meurice, ancien QG de Salvador Dali, auquel elle est restée fidèle. Très souriante et conviviale, dotée d’un solide sens de l’humour, elle revient avec franchise sur son parcours musical, des Rolling Stones à Pierre Lapointe, en passant par Bryan Ferry ou David Bowie.



Amanda Lear : « J’adorais le live, je chantais faux, mais ce n’était pas grave, j’avais le contact, le public »

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LE FIGARO. - Vous revenez à la musique, après plusieurs années d’absence. Pourquoi ?

Amanda LEAR. - Je crois beaucoup à la chance, au destin et aux rencontres. Je n’ai jamais rien planifié. Là, il m’est arrivé ce truc incompréhensible : Chanel a pris la chanson Follow Me, que j’ai écrite il y a quarante-cinq ans, pour un contrat de quatre ans. Quand ma chanson part dans une publicité vue dans le monde entier, ceux qui ne me connaissent pas vont sur Shazam, et après ils écoutent sur Spotify. C’est comme ça que je me retrouve dans le hit-parade en Corée du Sud, où je n’ai jamais mis les pieds. Donc, Universal s’est dit : « On va la renvoyer en studio pour faire un album. » C’est mon 23e album, vous vous rendez compte ?


Vous n’avez jamais arrêté ?

Tellement d’artistes s’arrêtent au bout d’une dizaine d’albums et connaissent une traversée du désert. Moi, je n’ai jamais traversé aucun désert. Grâce à la chance, je suis passée de la musique à la télé italienne, puis de la télé italienne à la télé française, ensuite au théâtre, au cinéma, et de nouveau à la musique. Il faut surprendre. Resservir des remix disco, ce n’était pas possible, donc on m’a proposé de chanter en français. C’est la première fois !

Vous avez aimé ça ?

Je ne suis pas une chanteuse. Je suis une diseuse. Les Allemands appellent ça Sprechgesang, « la chanson parlée ». Marlene Dietrich, qui ne savait pas chanter, parlait. C’était une actrice qui articulait bien. Et donc, j’ai dit : « On va appeler des auteurs comme Patxi Garat ou Pierre Lapointe. » Ils étaient ravis. Ils ont dit oui parce qu’ils savent que je peux faire autre chose que du disco allemand. Je ne crache pas dans la soupe, mais, le disco allemand, ce n’est pas le top du top. J’ai vendu 28 millions d’albums dans le monde. Ça a payé ma maison, tout ce que vous voulez.


Follow Me reste votre chanson signature…

Oui, c’est très curieux. Quand j’ai quitté David Bowie, je suis allée en studio à Munich. Il m’avait payé des cours de chant, avec une professeur qui s’appelait Florence Norberg, donc je croyais que j’étais devenue chanteuse. Quand je suis entrée aux Studios Union, mon producteur, Anthony Moon, m’a fait chanter. Il demandait « toujours plus grave ». Alors ils m’ont fait fumer des clopes et boire du whisky. C’était en plein hiver, il neigeait et, à 5 heures, ils me disent : « Das ist gut. » Je me suis rendu compte qu’ils voulaient Marlene Dietrich, le vieux fantasme de la blonde qui fume des clopes dans un cabaret, mais en disco. J’ai chanté Follow Me sur un ton confidentiel, ça a surpris le monde entier, mais ce n’était pas ma voix naturelle. C’est en arrivant au théâtre que je me suis rendu compte que je n’avais jamais chanté dans mon registre. Sur ce disque, j’ai essayé de revenir à ce ton confidentiel, sans parler de drague ni être dans la séduction, à mon âge ! Alors j’ai regardé en arrière, je me suis remémoré les amours que j’ai eues, comme une espèce de bilan sentimental, vous voyez ? Et, comme je ne me les rappelle pas toutes, j’ai repris J’ai la mémoire qui flanche. J’ai aussi écrit quelques chansons en anglais.


Une d’entre elles s’intitule Sixties Survivor. C’est ce que vous êtes ?

C’est une énumération autobiographique, avec tous les gens que j’ai rencontrés : Allen Ginsberg, Anita Pallenberg, Jimi Hendrix. Les générations d’aujourd’hui n’ont pas la moindre idée de ceux que j’énumère. Quand on me dit : « Amanda, vous êtes une icône », je réponds : « Non, une icône, ça a une dimension religieuse, on s’agenouille, on fait sa prière. C’est figé, ce que je ne suis pas. » J’aime bien le terme « survivante ». Toutes mes copines sont mortes : Marianne Faithfull, Anita… Je me considère comme une survivante parce que je suis la dernière à avoir connu le Swinging London.


Quel était alors votre lien à la musique ?

Nous étions toutes branchées rock’n’roll. Il y avait les Birds, les Rolling Stones, les Kinks, et tous ces groupes-là. Et puis j’aimais beaucoup la Black Music : Tamla Motown, Otis Redding, c’était mon truc. J’ai découvert la chanson française quand je suis venue vivre avec Dali en France. Il était fasciné par la comédie musicale Hair. Je revois tous ces mecs aux cheveux longs avec des franges en train de fumer des pétards dans le salon. La femme de Dali ouvrait les fenêtres en disant : « C’est irrespirable. » Mais la chanson française n’était pas mon truc. Ensuite, je suis sortie avec Bryan Ferry, qui me voyait comme son idéal féminin. Sur son grand piano blanc, il avait une photo encadrée de Kim Novak. Je me suis rendu compte qu’on avait ça en commun. J’étais devenue blonde à cause d’elle et Bryan voulait cette image de femme hitchcockienne. C’est pour ça qu’il m’a fait poser avec une panthère en laisse sur la pochette de Roxy Music. Ensuite, David Bowie, que je n’aimais pas du tout, est tombé amoureux de cette pochette. Il n’est pas tombé amoureux de moi, mais de la photo. Marianne nous a présentés et nous avons vécu une grande histoire d’amour qui a duré deux ans. Quand j’ai écrit ma première chanson, je l’ai intitulée I Am a Photograph, parce qu’on me considérait comme une photo, ce qui est très frustrant quand on a été mannequin. Vous n’êtes pas un être humain, on se fout que vous ayez de la fièvre ou mal aux dents.


Quels étaient vos modèles musicaux ?

Tina Turner. Je l’avais vue sur scène plusieurs fois à Londres avec un costume de panthère et une énorme queue attachée à sa tenue. On aurait vraiment dit un animal. Elle était dans le creux de la vague après avoir quitté Ike, elle chantait dans des petits cabarets. Elle me disait : « Amanda, pourquoi tu ne m’écris pas des chansons disco ? » Je lui répondais : « Tina, ça ne va pas, tu es la reine du rock’n’roll. » « Oui, mais tu vends des disques, et pas moi. » Et puis elle est revenue avec des tubes, heureusement. Les chanteuses françaises, je les trouvais gnangnans et rassurantes. Et moi je ne voulais pas être rassurante. L’image que je voulais projeter, c’était Suzi Quatro, Chrissie Hynde. Je n’ai jamais réussi à faire de rock’n’roll, mais je voulais être de ces femmes totalement libres qui cassaient les codes.


Vous avez beaucoup tourné, à une époque…

À l’époque disco, justement, avec les Allemands. Très efficaces. Ils m’ont casée partout, en Russie, en Allemagne, en Amérique du Sud, au Japon. J’ai fait plein de tournées. J’adorais le live, je chantais faux, mais ce n’était pas grave, j’avais le contact, le public, c’était très excitant. On tombait toujours sur des escrocs, des producteurs qui partaient avec la caisse. En France, on ne me connaissait pas, le disco commençait à peine. Fabrice Emaer est venu me voir en Italie et m’a proposé d’inaugurer le Palace. C’était le 26 septembre 1978, je me le rappellerai toujours. Je suis venu avec mon spectacle, mes danseurs à poil, et cetera. Il y avait 5 000 personnes dans la rue qui se battaient pour entrer. Fabrice a donné un dîner pour moi et m’a dit : « Amanda, à partir d’aujourd’hui vous êtes la reine de Paris. » Ça m’a ouvert les portes des télés françaises, les shows des Carpentier, tout ça, mais ça choquait toujours un petit peu parce qu’en France on n’était pas très sûr. « Amanda, on ne sait pas d’où elle vient », disait-on. Tout ça parce que je chantais en anglais.


Vous avez inspiré une chanson aux Stones, Miss Amanda Jones…

C’est parce que je sortais avec Brian (Jones, NDLR). Il a toujours eu des problèmes de drogue, des problèmes de cœur, il était paumé. À un moment, il était séparé d’Anita Pallenberg, qui était partie avec Keith Richards. Il est venu habiter dans mon tout petit studio à Chelsea. Il était accro à des somnifères toute la journée. La nuit, il se réveillait en criant : « Où on est, qu’est-ce que c’est ? » Mick et Keith ont écrit Miss Amanda Jones, qui n’est pas une chanson flatteuse du tout. C’était avant qu’ils larguent Brian, qui a très mal pris d’être éliminé du groupe. Il était plein de projets et puis il s’est noyé dans sa piscine. Si j’avais été là, je l’aurais empêché de nager. 


Et les Beatles ? Il existe une célèbre photo de vous entre John Lennon et George Harrison…

J’aimais bien George, mais il était marié avec Pattie Boyd. Comme je défilais souvent avec elle, j’allais régulièrement chez eux. George, il était branché mystique, et il jouait avec Ravi Shankar. La photo a été prise le jour de l’ouverture d’un magasin de fringues à Londres. On m’a invitée et, la photo qui est sortie, c’est moi avec les Beatles. Plein de gens ont pensé que nous étions très proches, mais non. J’ai connu Hendrix, aussi. Vu que je n’avais pas le sou, nous avions pris une maison de trois étages en colocation qu’on squattait presque. Au rez-de-chaussée vivait Pat Hartley, une révolutionnaire noire américaine. Elle connaissait bien Jimi. Un jour, je trouve Hendrix à la porte avec sa guitare. « Je suis un ami de Pat, elle m’a dit que je pouvais passer quelques jours ici. » « Tu ne peux pas aller à l’hôtel ? » « Non, il y a des filles. » Jimi était toujours poursuivi par des filles, donc il ne savait pas où dormir. Il est resté quelques jours, il était très gentil. Il passait ses nuits entières dans une boîte, le Speakeasy. Il draguait les serveuses : il adorait les blondes peroxydées. Je me lève le matin et je vois cette fille avec ma robe de chambre. « Mais enfin, qui êtes-vous ? » « Ah, mais j’ai passé la nuit avec Jimi. » « Tu me rends ma robe de chambre tout de suite ! » J’étais tellement furieuse que j’ai viré Hendrix. Je l’ai revu deux ou trois fois par la suite.


Est-ce que Dali aimait la musique ?

Il avait des goûts très populaires, très espagnols. Et il était fou de Wagner. Pour lui, le summum, c’était Tristan et Iseut. Il avait un vieux 33-tours, tout rayé. Et tous les soirs, dans le patio, il passait ce disque. Il disait : « C’est très bien les rayures, on dirait des sardines en train de griller. » Il était assez groupie. Donc, je lui ai amené Roxy Music. Un jour, le collaborateur des Beatles Peter Brown nous dit que Yoko voulait acheter un poil de sa moustache 5 000 dollars. Il disait : « Non, non, non, c’est une sorcière, elle peut jeter des sorts sur vos ongles ou vos cheveux. » C’était en plein mois d’août, il me dit : « Allez au fond du jardin cueillir une herbe séchée. » Tout était sec, donc j’ai pris une herbe toute noire, séchée par le soleil. On a mis ce brin dans un bel écrin. Et il le lui a vendu. Il a touché 5 000 dollars pour un bout d’herbe !


Vous vous êtes ratés, Gainsbourg et vous, non ?

Je l’ai rencontré et il m’a dit : « Mon prochain projet, c’est de vous écrire une chanson. » C’était mon rêve, mais ça ne s’est pas fait. J’aurais bien aimé travailler avec Nougaro, aussi. Un jour, il m’a appelé en me disant : « Voilà, je vous ai écrit une chanson. » « Je ne vous ai rien demandé », ai-je répondu. Et puis il est mort, nous ne l’avons jamais enregistrée. L’autre, c’est Aznavour, qui était mon voisin en Provence. Il m’avait carrément écrit une comédie musicale. « Je voudrais que vous la fassiez en français et que Liza Minelli la fasse en anglais. » C’était l’histoire d’une grande star du cinéma qui racontait sa vie en envoyant plein de vacheries sur tout le monde. Nicole Sonneville me l’a encore rappelé, il n’y a pas longtemps. Elle m’a dit : « Tu sais, il y a toujours dans les tiroirs cette comédie musicale d’Aznavour qu’on n’a jamais montée. »


Vous écoutez la musique d’aujourd’hui ?

J’écoute la radio. J’aime bien Maureen. Aya Nakamura, pourquoi pas ? Donnons une chance aux nouveaux, écoutons ce qu’ils ont à dire. Les mots sont tellement importants. Ce que je déplorais, dans la musique disco, c’était le manque de texte. J’aime beaucoup les compositeurs qui font du slam, comme Grand Corps Malade, et certains rappeurs qui soignent l’écriture. La langue française est magnifique. Je pense toujours à ce poème d’Aragon. « Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle/ Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici/ N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci/ Je dirai malgré tout que cette vie fut belle. » Plus jeune, je ne pensais pas à remercier. J’en voulais toujours plus. Aujourd’hui que j’ai plutôt une bonne carrière derrière moi, je remercie. Je mène une vie très disciplinée et je travaille. Je ne veux pas entendre parler de retraite. Mais je ne suis pas sûre de faire encore un autre album. J’ai envie de faire de nouveaux trucs. J’aimerais enregistrer un duo avec Kanye West, et un avec Gims.


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