mercredi 8 mars 2017

Tout le monde échangerait volontiers sa vie contre celle d'Amanda Lear

Après l'entretien en Italien, le même en Français !
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Last one ... Only for Me ! Thank's Dear Amanda

        
Kraftwerk ont écrit une chanson sur elle, Bowie en était amoureux, le disco lui doit ses morceaux les moins débiles, Roxy Music leur meilleure pochette d'album... Faut-il vraiment continuer ?






Notre collègue italien Demented Burrocacao a passé plusieurs heures avec la reine du disco, la muse de Salvador Dali, la panthère blonde de la télé italienne, bref, celle qui ne nécessite plus aucune introduction. Andiamo !


March 8 ! Woman's Day !

Noisey : Alors, Amanda…
Amanda Lear : Bonjour !

Bonjour ! C'est un plaisir de te rencontrer, je suis un très grand fan. Tu es quelqu'un d'exceptionnel, une icône.
Non, les icônes, on les trouve au cimetière !




Je veux dire… Tu es un symbole d'éclectisme, sous toutes ses formes.
Je vois ça comme une qualité, mais les gens ont du mal à te mettre dans une case, à te coller une étiquette … Qu'est ce que tu es ? Une chanteuse, une actrice, une peintre ? Je suis éclectique, je fais de tout. Jean Cocteau le faisait aussi, mais on disait de lui que c'était un génie [Rires]. On dirait qu'on a pas le droit de faire des choses différentes : on doit être comme ci, ou comme ça. Et c'est la même chose dans la musique : si tu fais du disco, alors tu ne dois pas faire de RnB. Mais pourquoi on devrait absolument s'enfermer dans un seul genre ?




Peut-être parce que les personnalités déconcertantes, comme la tienne, posent problème à l'industrie.
Ah oui, pour eux c'est plus difficile. Mais moi, je m'ennuie. Un des points les plus importants de ma personnalité, c'est que je m'ennuie très vite. Par conséquent, si je dois faire la même chose pendant plus d'une ou deux semaines, je me dis : « Encore ? Fait chier ! » [Rires] Et comme je m'ennuie rapidement, j'ai toujours l'impression d'ennuyer les gens. Donc, je le dis : s'ils me voient encore faire la même chose, le même genre de musique, avec le même comportement et la même coiffure, ils vont se dire « Ohlala, encore elle, mais on en a marre ! » Et donc, pour ne pas lasser mon public, je m'attache à me renouveler régulièrement, à changer de direction, à surprendre.




Selon toi, le fait de surprendre est également passé par tes fréquentations ? Je pense à toutes ces personnalités qui se sont finalement bien accordées avec la tienne, mais qui, à première vue, semblaient venir d'univers inconciliables avec le tien.
Oui, mais il faut être capable de s'adapter aux changements, un peu comme un caméléon, sinon tout devient très sclérosé, c'est toujours pareil.




C'est quelque chose qui est finalement en accord avec ton génie, puisque ton nom est régulièrement associé à tes histoires avec Bowie, avec Dali …
Et oui ! L'amie de Bowie, la muse de Salvador Dali, lancée par Berlusconi, reine du disco et … Tomorrow … Tomorrow … [Elle chante]. Les gens me voient dans la rue et me disent « Amanda Lear ! Tomorrow ! ». Mais comment est-ce possible que trente ans après … Ça veut dire que cette facette de mon personnage a eu un tel impact qu'elle est restée fixée dans la tête des gens. C'est étrange. Salvador Dali me disait toujours : quand tu rencontres quelqu'un, tu dois lui donner un grand coup dans les tibias. Ça fait horriblement mal, et il s'en rappellera toute sa vie. Au contraire, si tu es mignonne et que tu te contentes d'un beau sourire, tout le monde va t'oublier. C'est une façon de dire qu'il faut marquer les esprits, provoquer, créer le scandale, pour être sûr que les gens se rappellent de toi.




Tu as eu un rôle fondamental dans l'évolution du modèle de la femme, tu as amené l'aspect provocateur.
A la base, j'habitais en Angleterre, et à l'époque, la mode pour les chanteuses était celle de filles comme Olivia Newton John : des petites blondes mignonnes… Je me suis donc dit : je ne veux surtout pas être ce genre de chanteuse. Je voulais chanter entièrement couverte de noir, avec une image de méchante, des chaînes… Et je me suis retrouvé sur la pochette d'un album de Roxy Music comme ça, toute vêtue de noir, avec des talons-aiguilles énormes, et une panthère noire tenue en laisse… C'était l'image d'une femme nouvelle.


C'est toi qui as imaginé cette pochette ?
C'était une idée conjointe de Brian Ferry, avec qui j'étais à l'époque, de moi, et du photographe Karl Stoecker. Cette image de femme plus méchante, plus agressive, a beaucoup plu, et j'ai contribué à lancer des filles à l'esprit plus rock, comme Chrissie Hynde, Siouxsie, Suzi Quatro… Avant moi, personne d'autre ne l'avait fait.

Quand je suis arrivée en Italie, je me suis aperçue qu'à la télévision, la vedette était l'homme, et on lui collait toujours une ou deux jolies filles qui roulaient des hanches… Le genre de fille que j'étais, en comparaison, faisait un peu peur. Rends-toi compte, toutes les maisons de disques à qui j'envoyais des démos me répondaient : « Mais pourquoi être aussi agressive ? Tu fais peur ! » Elles en étaient toutes persuadées. Les seuls à s'être réveillés sont les Allemands, parce que l'Allemand a toujours aimé les femmes du style Marlene Dietrich, c'est-à-dire la grande blonde qui fume dans un cabaret de Berlin, la voie rugueuse, un peu femme fatale. Et les Allemands m'ont dit : on aime votre image, mais on est en 1978, ce qui marche en ce moment, c'est La Fièvre du samedi soir, mademoiselle, vous devez faire du disco.




Il y avait un lien entre disco et érotisme… Et ta présumée ambiguïté sexuelle a beaucoup fait parler...
Oui, et c'est à ce moment là que j'ai établi ma tragédie [Rires]. L'idée de ne pas donner d'indications précises au sujet de ma sexualité vient de Dali, un truc surréaliste. Mais pour revenir au disco, comme je voulais absolument signer en maison de disques, j'ai accepté. J'ai signé un contrat de sept ans, en leur disant « n'oubliez pas que je veux faire du rock'n roll ! » … et eux « non, pas tout de suite, on en reparlera plus tard ». J'aimais Elvis Presley, j'aimais le ta-rara-ta-ra de Bo Diddley… Mais non, je devais faire du disco, remuer les hanches, être sexy. Ils voulaient faire de moi la Grace Jones blanche.




Vous apparteniez à la même époque.
Oui, mais on était surtout rivales. Il y avait Thelma Houston, Abba, Boney M… Et moi je me suis retrouvée à faire du disco, ce qui n'était pas vraiment, bon… Pas de la grande musique [Rires]. Mais bon, tu sais, les Allemands aimaient ce genre de choses. Tout le mouvement disco est né à Munich, avec Moroder.




Et Geoff Bastow, qui a travaillé avec toi par la suite.
Oui. Je le trouvais lourd, mais étant donné que j'avais signé ce contrat, je devais le faire. Le seul vrai problème de la musique disco était les paroles, qui étaient vraiment ridicules. Ils prennent un mot et ils le répètent pendant dix minutes, genre « I Love To Love You Baby », et Donna Summer qui crie la même chose pendant vingt minutes. En somme, les textes ne me plaisaient pas. Et donc, comme je suis auteur, je leur ai dit : je vais essayer d'écrire des paroles intéressantes. Ça a été une erreur, parce que personne n'écoutait les paroles de ce genre de musique ! Rien à faire !

A propos de ton rôle d'auteur : comment définis-tu les thématiques de tes morceaux ?
Le titre du premier album vient du fait que David Bowie était tombé amoureux de ma photo… mais pas de moi.




Comment est-ce possible ?
Eh bien il a vu ma photo sur le disque de Roxy Music, et il a dit « cette fille me plaît, je dois absolument la rencontrer ». Il était amoureux d'une photo ! Pas de moi. Donc quand j'ai fait on premier album, je l'ai appelé I Am a Photograph : je suis juste une photo sur un morceau de papier glacé, refaite et retouchée.




Une auto-critique, en somme.
C'était une réflexion sur mon passé, et sur la frustration d'être top-model. Être mannequin est une chose terrible. Tu ne peux pas ouvrir la bouche, tu dois rester silencieuse, sourire, montrer tes dents, être parfaite, lever le menton… et dès que tu ouvres la bouche : « NON ! Chut ! Tais-toi ! » Au bout d'un moment, tu te poses la question : qui-suis-je ? Suis-je juste une image, une apparence ? Mais moi aussi j'ai des choses à dire ! Et ça me faisait vraiment beaucoup souffrir.

Quand j'ai enfin commencé à chanter, j'étais contente de pouvoir m'exprimer. Laissons de côté tout le reste, la pop, le disco, toutes ces choses : tout va bien, je dois m'exprimer. Sauf que j'ai mis des mots sur un genre de musique qui servait uniquement à danser. Personne n'écoutait ce que j'avais à dire. C'est le genre de musique que tu écoutes dans un ascenseur, mais personne ne s'assied avec un whisky en se disant « écoutons un peu ce que cette fille a à dire ».




Mais tu te rends compte que les choses ont changé ? Je pense qu'aujourd'hui, l'intérêt porté aux textes de ces chansons est beaucoup plus important qu'à l'époque.
C'est parce qu'ils sont vieux ! [Rires] Ne me fais pas dire ce genre de choses, parce qu'après je ne peux plus mettre les pieds en discothèque.



Effectivement, le disco des années 70 est devenu une vraie musique de connaisseurs, une fois sortie de son contexte initial.
A l'époque, j'essayais certainement de raconter quelque chose. Mon premier disque racontait la dure vie d'une modèle photo et ses illusions sur le métier. Pour le deuxième en revanche, voyant le succès que j'avais avec cette étiquette allemande, je me suis souvenue de la célèbre histoire –très allemande- de Faust. Il vend son âme au diable en échange du succès, de la gloire et de l'immortalité, et j'ai imaginé que c'était un peu mon histoire –j'ai donc raconté la vie d'une fille qui vend son âme au diable pour devenir célèbre. Sweet Revenge, la douce vengeance, je me vengerai de tous parce que je serai riche et célèbre.




Le single de départ était « Follow Me », sur lequel mon producteur Anthony Moon m'avait fait chanter le plus bas possible. Je me rappelle que David Bowie m'avait payé des cours de chant chez une certaine Florence Norberg à Londres, qui me poussait justement à trouver la bonne tessiture : « fais des vocalises, monte, la-la-la, plus haut ! Plus haut ! » Et quand j'arrive en studio à Munich, Anthony me dit : « mais qu'est ce que c'est que ça ? » Je réponds que c'est ce qu'on m'a appris, il me fait « je ne veux pas cette voix, baisse la tonalité … encore plus bas ! » Et c'est ainsi qu'à 4 heures du matin, après avoir fumé un paquet de cigarettes et avoir bu une bouteille de whisky, je me suis retrouvée avec cette voix d'outre-tombe, soit exactement ce que les Allemands voulaient.




Donc, l'idée vient d'Anthony Moon ?
Oui, c'est lui qui a fait « Follow Me » et mes cinq premiers disques.




Cinq albums qui fonctionnent parfaitement.
C'est simple, je vais t'expliquer : je ne m'attendais pas du tout à avoir du succès, et il est quand même arrivé. La maison de disques a donc voulu continuer –on ne change pas une équipe qui gagne, pas vrai ? Étant donné le succès du premier, on m'a demandé de refaire le même disque une deuxième fois. Et je m'interrogeais : jusqu'à quand devrai-je continuer à faire encore et encore les mêmes disques de disco, tous exactement pareils

Et la séparation est arrivée peu après, c'est ça ?
Un jour, j'ai rencontré les Kraftwerk, et avec eux, plein d'autres gens qui faisaient une musique électronique très différente de cette disco traditionnelle. J'ai donc dit à la maison de disques que je voulais travailler avec ces gens là, parce que c'était une opportunité pour progresser, et je voulais la fructifier.

Kraftwerk t'avaient proposé de collaborer avec eux ?
Oui, ils avaient écrit une chanson sur moi, qui s'appelait « The Model » [Elle la chantonne]



C'est fou ! Je ne savais pas qu'elle parlait de toi !
Yes ! [Rires] Mais la maison de disques m'a dit « non, tu ne dois absolument pas changer ! » Alors je me suis lassée de jouer la reine du disco, et j'ai résilié mon contrat. Il me restait deux ans à faire, donc il y a eu une plainte, un procès, une situation compliquée qui a duré pas mal de temps, pendant laquelle je me retrouvais sans maison de disques. Ça n'a pas été facile, mais je devais absolument me libérer de mon image de chanteuse de disco.




Pourtant, tes deux albums plus orientés new wave/rock sont sortis à cette époque, non ?
Oui, on a ensuite changé de maison de disques, et je suis arrivée en Italie.

Incognito, par exemple, n'a jamais été réédité. C'est pour cette raison ?
Certains morceaux ne sont même jamais sortis. Par exemple, j'avais fait des sessions avec le producteur de Frankie Goes To Hollywood, Trevor Horn.




Oh !
Je suis allée à Londres, dans son studio… ça me fait rire d'y repenser, parce que lorsque je suis entrée j'ai dit « mais où sont les instruments ?! » Il m'a répondu : « mais quels instruments, je ne travaille pas avec des instruments ! » Il avait seulement des synthétiseurs, un échantillonneur Fairlight, et d'autres machines. Il m'a fait chanter et m'a renvoyé chez moi, je me suis dit « mais vraiment, celui-là »… Et lui : « Non, non, ta voix, je l'ai, c'est bon ! » Il l'avait dans sa voicebox, il pouvait la modifier comme il voulait, retoucher n'importe quoi… bref, tout était électronique.

D'un côté, j'aimais ça, mais d'un autre… ça ne me plaisait pas [Rires]. Mais on a quand même fini par enregistrer un titre ensemble, que la maison de disques, naturellement, a refusé. Je leur ai dit : « mais c'est Trevor Horn ! » Rien n'y a fait, ce qui a été douloureux pour moi, parce que je n'arrivais pas à faire vraiment ce que je voulais.




Et qui a conservé cette démo ?
J'imagine que Trevor Horn doit l'avoir. Il y a aussi une démo avec David Bowie, qui s'appelait très sobrement « Star », et qui, elle aussi, n'est jamais sortie.




Et cette chanson, tu l'as quelque part ?
Moi je n'ai absolument rien, pas même un de mes disques [Rires]

Revenons à la rupture de ton contrat avec Ariola.
Je suis donc arrivée en Italie, et j'ai changé de maison de disques. J'ai fait d'autres choses, un album avec des Américains qui s'appelait Secret Passion.



J'aime beaucoup cet album.
Ensuite, ils m'ont proposé cet album qui s'appelait Tam Tam. C'était l'époque de Berlusconi, et moi j'étais la grande star du samedi soir, une période pleine de nouveautés pour la télé italienne, très dynamique, avec beaucoup de strass et de paillettes… et même le premier sein nu de l'histoire de la télévision italienne. Beaucoup, beaucoup de changements. J'ai donc eu l'opportunité de faire de belles vidéos, et on a fait Tam Tam… qui n'a plu à personne.




C'est toi qui as choisi de travaillé avec le compositeur Roberto Cacciapaglia sur ce disque ?
Absolument ! Tu sais, pour moi l'Italie a toujours été le pays de la musique, sans l'ombre d'un doute. J'ai rencontré du monde, comme par exemple Toto Cutugno, qui me disait : « Amanda, je vais t'écrire une chanson qui va émouvoir tout le monde, mais laisse tomber la danse et les paillettes, il ne faut que toi, avec une paire de jeans, et juste ta voix. » Il a fallu un peu de temps pour le faire… Une trentaine d'années [Rires].




Il y a quelques années, j'ai retrouvé ce producteur à Paris, qui m'a demandé ce que je voulais réellement faire. Moi, je veux chanter : j'ai une voix qui s'est peut-être améliorée avec le théâtre, parce que j'en fait depuis sept ans, et la voix est un muscle. Tous les soirs, je fais travailler cette voix sans micro, ils doivent pouvoir m'entendre jusqu'au troisième balcon, ils ont payé 12 euros, ils ont le droit de m'entendre ! MA VOIX S'EST RENFORCÉE [Elle crie]. Et donc, peut-être que je peux chanter un peu mieux.

On a donc pris un orchestre avec une vingtaine de musiciens, et pour la première dois je suis entré dans un studio d'enregistrement et j'ai vu des mecs avec le nœud papillon, des violons, des violoncelles, des harpes, un pianoforte, et moi : « Hé, la madonna ! » [Rires]. Je n'avais jamais vu un orchestre classique comme ça, qui m'attendait moi. Et puis, face à eux, tu ne peux pas t'amuser ou dire « c'est bon, les gars, on recommence, je me suis loupée ». Non, ta chanson, tu la fais du début à la fin, tu dois la chanter en entier. Pour moi, ça a donc été une expérience nouvelle, qui m'a tellement plu que je suis tombée amoureuse du violon. Je voudrais passer le reste de ma vie avec des violons qui me suivent quand je marche dans la rue [Rires]. Ça a été un tournant, je dois dire, et j'ai enfin découvert que je pouvais chanter autre chose.



En effet, sur ton dernier album ta voix prend des tonalités plus hautes.
Oui, dans Let Me Entertain You, l'idée était de faire un spectacle. Comme tous mes fans me demandaient quand allais-je revenir sur le devant de la scène, et que je répondais à chaque fois « mais, je suis au théâtre ! » … je me suis dit : bon, si c'est comme ça je vais faire un concert dans un théâtre. Il y aura un mec au début qui dira « Mesdames et Messieurs, voici pour vous, Amanda Lear ! » Et peut être que je chanterai quelques vieux morceaux, parce que je dois bien ça à mes fans, avec un passage sur le disco, qui a fait partie de ma vie, et pour finir je proposerai de nouveaux morceaux…




Tu as dit que Madonna avait copié tes pommettes. C'est vrai ?
[Rires] Oui ! Elle les a carrément achetés ! Tu sais, Madonna est très forte, parce qu'elle arrive à piocher des idées ou des détails à droite, à gauche, et à en faire un spectacle. Ce n'est pas vraiment une chanteuse, mais elle fait vraiment de superbes spectacles.




Si on applique cette distinction, tu te considères plutôt comme une chanteuse ?
Non, le truc c'est qu'une vraie chanteuse est une fille qui se tient devant son micro, bien habillée, qui chante. C'est tout. Mina, Ornella Vanono. Même Lady Gaga pourrait être une excellente chanteuse, mais une fille qui arrive avec un ventilateur et les cheveux qui volent ne peut pas chanter une chanson. Tu imagines Mina avec un ventilateur derrière elle ? Ce n'est pas possible. C'est donc un tout autre genre de spectacle, qui, à titre personnel, ne m'intéresse plus du tout.



Grâce à tes fréquentations, tu as aussi affiné ton talent pour interviewer tes collègues. Aujourd'hui, c'est moi qui suis en train de t'interviewer, mais pendant longtemps, tu as été de l'autre côté de la barrière.
Oui, mon ironie plaisait à la télé. J'adore rire, je ne peux pas concevoir la vie sans de grands éclats de rire, c'est le minimum pour la santé. Par conséquent, étant donné qu'ils avaient vu chez moi cette qualité, et ma capacité à parler de nombreuses langues (allemand, anglais, français, italien, espagnol), ils m'ont demandé d'interviewer, je ne sais pas, Tina Turner, Charles Aznavour… je suis passée à la Rai, et on a trouvée cette idée, « Cocktail d'Amour ». Le concept était de retrouver des vieilles stars et de voir ce qu'elles étaient devenues. C'était des gens qu'on ne voyait plus à la télévision depuis longtemps, je me rappelle par exemple quand j'ai interviewé Loredana Bertè et qu'elle est arrivée avec les cheveux bleus.

Je me rappelle d'une magnifique interview avec Franco Battiato.
Oui, je suis allée chez lui, en Sicile.

Vous avez parlé de drogue, vous disiez qu'à l'époque on se droguait pour stimuler et amplifier la conscience, à la différence de ce qu'il se passe aujourd'hui.
On se droguait pour l'art. On disait que le fait de prendre des acides, du LSD, ce genre de choses, stimulait la créativité, parce que ça te procurait des visions.




Tu en as pris ?
Mais oui, comme tout le monde ! Je veux dire, à Londres, quand tu refusais de fumer un joint, on te regardait mal. Je suis de cette génération ! Alors, il fallait absolument essayer ça, et ça, j'arrivais à peine des États-Unis … « essaye cette pilule, tu verras, c'est une merveille ». On pensait que ça faisait de nous de grands créatifs.

Puis Salvador Dali m'a dit que ces choses n'existaient pas. Lui ne se droguait pas, il buvait juste de l'eau minérale et il me disait : « regarde, je bois cette eau, et j'ai les mêmes visions. Tu veux voir des arcs-en-ciel ? Bois de l'eau, il y aura des arcs-en-ciel partout. Tu veux voir des éléphants qui volent ? Une source d'eau minérale, et tu en verras autant que tu veux » [rires]. En somme, il m'a appris qu'il n'y avait pas besoin d'un truc chimique pour stimuler la créativité.




Je me souviens de ce T-shirt que tu portais, avec une citation de Dali : « I don't do drugs, I am drugs ».
Oui, c'est une citation de lui. Il a tout fait pour que j'arrête la drogue. Comme j'avais des problèmes au niveau des yeux, il m'a emmené à Barcelone, chez un grand spécialiste, qui m'a dit : « si vous continuez à vous droguer, vous allez finir aveugle ». J'avais des scintillements, comme des battements devant les yeux, et j'ai donc arrêté de prendre des drogues. Ça n'a pas été compliqué, il suffit de le vouloir.






Qu'est ce que tu penses de l'usage de la drogue qu'ont les jeunes d'aujourd'hui ?
Selon moi, les jeunes d'aujourd'hui ont le rapport inverse à la drogue. Comme ils sont malheureux, au chômage ou… je ne sais pas, leur vie est moche, ils se droguent en pensant que leur situation s'améliorera. La drogue n'a jamais rien résolu. A la fin, quand tu termines ton trip, tu te retrouves exactement comme au début : malheureux, et au chômage.

Mais Dali me disait un truc amusant : quand on fait la fête, il faut du champagne pour tout le monde ! Mais il ne faut pas en boire tous les matins parce que tu déprimes… Tu fais la fête parce que tout va bien dans ta vie, et c'est pour cette raison que tu bois du champagne. La drogue doit se consommer dans ce sens : il disait que ça avait du sens de se droguer pour faire la fête, mais seulement quand tout va bien dans ta vie.




As-tu été une drogue pour Dali ?
Disons que cette histoire de muse est une chose assez bizarre. Le fait de rester auprès de l'artiste, et de stimuler son inventivité pourrait être considéré comme une drogue. Certains artistes disent qu'ils ne sont pas capables de peindre ou de créer s'ils n'ont pas une certaine personne auprès d'eux. Finalement, c'est vrai qu'ils finissent par te sucer ton énergie, un peu comme les vampires. J'ai fait beaucoup de choses pour Dali, j'ai dessiné un jeu de cartes complet pour un film, une fois. Le producteur de James Bond est arrivé, et a demandé à Dali de lui faire un jeu de tarot. Dali n'avait pas la moindre idée de ce qu'était le tarot, et m'a donc chargé de m'en occuper. Je me suis assise dans un coin, et j'ai dessiné toutes les cartes, avec l'empereur, la roue de la fortune… Dali est arrivé, a collé trois papillons dessus, et a signé Dali. Je lui ai dit « c'est une arnaque, ce truc ! », et lui « mais non … » [Rires].




Tu peins encore ?
Oui ! J'ai fait les Beaux Arts hein. Tu sais, quand j'ai rencontré Dali, je voulais devenir artiste peintre. Lui, il ne me plaisait pas du tout, je préférais Picasso [Rires]. Je ne connaissais pas la peinture de Dali, ça ne m'intéressait pas. Mais un soir, on me l'a présenté, j'étais encore mannequin, toute maquillée, avec un côté vamp, des faux cils, une silhouette grande et maigre. Pour lui faire comprendre immédiatement que je n'étais pas juste une top model, je lui ai dit : « je fais les Beaux Arts, moi aussi je suis artiste peintre. En fait, nous sommes collègues ! » Il m'a très mal regardé et m'a répondu « Mademoiselle, les femmes ne savent pas peindre. Ne me parlez pas de votre peinture, elle n'existe pas. Vous n'êtes pas l'une de mes collègues ! »




Il était un peu macho, sur ce type de sujet.
Un peu ? [Rires]. Le macho espagnol absolu ! Je lui ai dit que les femmes peintres avaient toujours existé, il m'a répondu que non. J'ai cité Frida Khalo, Dora Maar… Il m'a dit « Non, non, non, la femme peintre fait juste des fleurs et des enfants qui pleurent. Aucune femme n'a jamais peint la chapelle Sixtine ». Et moi : « évidemment, on les laissait en cuisine ! » J'ai fait une reprise de « Macho Man » sur mon dernier album, mais ça n'a rien à voir, c'est parce que j'ai été fiancée à Randy Jones, le cowboy des Village People...

...Attends, il n'était pas gay ? !
Mais arrête ! Disons simplement que c'était un homme moderne …

Incroyable. On dit que c'est grâce à ton aura sexuelle que tu as réussi à franchir le rideau de fer.
Au début, en Russie, tout était prohibé, mes disques arrivaient du marché noir en Inde. Par conséquent, Amanda Lear représentait un mythe érotique pour les Russes, un peu comme Marilyn Monroe, parce qu'ils ne l'avaient jamais vu. Ils m'appelaient continuellement pour me faire venir en Russie, mais ils voulaient me payer en roubles, et moi je voulais des dollars. Ils me proposaient aussi des fourrures horribles, des peaux vieillies, et je leur répondais toujours « non, je viendrai quand vous aurez des dollars ».

Et tu n'es donc jamais allée en Russie ?
Après, si, ils ont fini par sortir les dollars ! Je suis allée trois ou quatre fois à Moscou, à Saint Petersbourg. Là bas, c'est toujours un succès, parce qu'ils mettent sur pied des shows grandioses. Je me rappelle que la dernière fois, à Moscou, j'avais demandé des danseurs, parce que la première fois j'avais ramené les miens, et qu'il y en avait deux de couleur… Et comme les Russes sont souvent racistes, mes deux danseurs n'ont pas voulu y retourner. Alors, ils m'ont trouvé cinq danseurs classiques du Bolshoi, vraiment excellents. De nombreux Italiens étaient d'ailleurs venus assister à la représentation : Riccardo Fogli, Toto Cutugno… Ils étaient tous là.



Tu n'as jamais eu de problèmes avec la censure ?
Disons qu'au début, c'était un peu choquant, mais ils se sont ouverts. La provocation est une constante de ma carrière, je me rappelle par exemple quand j'ai fait l'émission Stryx… Les Italiens disaient que c'était une provocation terrible. Avec moi, il y avait Patty Pravo et Grace Jones. Je me rappelle qu'à un moment donné, pendant que je chantais, il y avait derrière moi des figurantes seins nus ; à l'époque, c'était quelque chose de très audacieux pour la Rai. Et l'une des figurantes était Barbara D'Urso !

Ces choses me semblent normales, ce n'est pas de la provocation, mais je comprends que pour certaines personnes, tout ce qui est un peu trop nouveau puisse être problématique. A l'époque, c'était ça, la transgression. Maintenant, tout le monde le fait, donc la transgression est représentée par une fille qui va à l'église, se marie et reste fidèle… Quelle transgression !




Le succès, c'est quelque chose que tu as cherché à obtenir ?
Non, jamais. J'ai toujours su que j'aurais un destin différent de celui de ma mère, ou des autres, mais je ne savais pas ce que ça signifiait vraiment. J'aurais pu devenir une grande voleuse, une criminelle, une danseuse-étoile ; je savais juste que j'aurais un grand destin. Je crois plus au destin qu'à l'école ou aux projets… Peut-être qu'en sortant d'ici, je vais croiser Woody Allen, qui va me dire « Amanda, enfin ! Je te cherche depuis toujours ! » Je crois que les choses se passent comme ça, c'est tout. C'est arrivé avec Berlusconi, qui m'a appelé une nuit sans même savoir qui j'étais ; même chose avec David Bowie. Tout est arrivé par hasard, je crois surtout qu'il faut garder l'esprit ouvert pour accepter tout ce qui arrive dans la vie.

Tout est un jeu, c'est amusant, tu ne sais jamais ce qu'il va se passer. Peut-être que je me trompe, j'ai fait des dizaines d'erreurs dans ma vie, mais c'est tellement plus amusant de laisser les choses se faire. Je dis toujours que je suis finie, que je devrais prendre ma retraite, mais mes amis me disent que je m'ennuierais. Je continue donc à me trouver des choses à faire. C'est ce qui est beau dans le fait de vieillir : de nouveaux rôles s'offrent à toi, des choses très intéressantes. On a tendance à penser qu'on perd notre beauté, mais c'est le contraire ! Les rôles de Tennessee Williams, par exemple, ou, dans la musique, les textes merveilleux comme la dernière époque de Nico.

Tu la connaissais ?
Oui, Nico était une grande amie.

Elle aussi t'a piqué des trucs ?
Avec elle, il y avait une certaine ressemblance : les pommettes, les cheveux… Puis elle est devenue rousse. C'est John Cage qui me l'avait présentée, on était dans le même hôtel à Londres. Il faut dire que Wharol les a toutes utilisées, toutes ces prétendues grandes stars qui n'ont duré que les quinze fatidiques minutes d'Andy Wharol.

Je pense qu'on peut s'arrêter là, merci mille fois, Amanda.
Désolé de t'avoir convié dans un endroit aussi bruyant. Mais moi, j'aime le bruit !














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