dimanche 26 septembre 2021

Michel Fau et Amanda Lear sur les planches en monstres sacrés d’Hollywood

 Aux cotés d’une Amanda Lear à contre-emploi, prête à assumer jusqu'au bout le rôle de la comédienne déchue, Michel Fau se travestit en Bette Davis pour incarner dans une mise en scène burlesque une histoire d’inimitié entre deux grandes actrices d’Hollywood.


C’est l’histoire d’une amitié ratée entre deux monstres sacrés du cinéma américain de l’âge d’or d’Hollywood. Au début des années 1960, Bette Davis et Joan Crawford, les deux grandes actrices de la décennie écoulée, jadis au sommet, se trouvent alors au creux de la vague : l’une en est réduite à passer des petites annonces pour trouver des rôles quand l’autre est ruinée, en dépit de son mariage avec l’héritier Pepsi. Un projet commun va les relancer : Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? (1963). Un film qui raconte précisément la rivalité entre deux sœurs, anciennes actrices, que la célébrité a détruites : l’une est infirme tandis que l’autre, alcoolique et folle, semble coincée pour toujours dans le rôle de Baby Jane, l'enfant-star qui l'a fait connaître.


Entre les deux actrices, la cohabitation de deux égos démesurés est difficile et le tournage vire rapidement au pugilat. Détruit par la critique, le film cartonnera malgré tout au box-office. De cette histoire de rivalité féminine hors-norme, le scénariste-réalisateur américain Ryan Murphy (American Horror Story) avait déjà tiré Feud, fabuleuse description psychologique des ressorts d’Hollywood, de la misogynie et des relations entre femmes avec Susan Sarandon dans le rôle de Bette Davis et Jessica Lange dans celui de Joan Crawford. Loin du drame psychologique de Ryan Murphy, Michel Fau fait le pari de la farce et introduit du boulevard dans cette histoire d’inimitié féminine, via cette adaptation qu'il met lui-même en scène au théâtre de la Porte Saint-Martin.

DRÔLE DE RIVALITÉ

Dans cette création, l’acteur retrouve son goût prononcé pour le travestissement et le kitsch assumé et apparaît sous les traits d'une Bette Davis elle-même déguisée en Baby Jane, terrifiante avec son maquillage blafard et cauchemardesque et ses tresses blondes de femme-enfant. Amanda Lear, plus habituée des personnages de bourgeoises évaporées, endosse ici un rôle à contre-emploi mais qui lui sied à merveille, pour lequel elle n'hésite pas à s'avilir : celle de l’actrice déchue et amère, partie de rien et qui fait face désormais à sa déchéance et sa peur de vieillir, maintenant qu'elle doit céder la place.

Les deux femmes ne sauraient être plus différentes. Guindée, séductrice, Joan Crawford, ex- « chorus girl », a d'abord connu la misère avant de devenir une comédienne reconnue – et riche. Face à elle, Bette Davis, avec son physique ingrat, incarne l’actrice totale, au caractère entier, entièrement dévolue à son art : celle qui fume clope sur clope, picole, parle et jure comme un charretier et n’hésite pas à traiter de « lopettes » les metteurs en scène qui lui déplaisent.

Assez vite, derrière l’hypocrisie de façade – on est à Hollywood, officiellement tout le monde s'adore – les insultes fusent, sous les rires du public : « has been », « grosse pécore du Texas ». Certaines se font plus subtiles, plus acides : « Votre fille est charmante, tout le portrait de son père. » Comme une métaphore de leur inimitié, de leur complicité manquée, Michel Fau et Amanda Lea ne s’adressent presque jamais directement la parole et se parlent chacun d’un bout à l’autre de la scène, depuis leurs loges, derrière un cadre de tableau, seulement à travers des lettres.

FARCE ET TRAGIQUE

Dans ces missives lues à voix haute – elles sont destinées au public, Bette et Joan sont après tout toujours en représentation – les deux actrices se plaignent sans cesse de l’une et de l’autre auprès du réalisateur. Pauvre Robert Aldrich qui tente de monter un film avec toute la bonne volonté du monde... Joan Crawford et Bette Davis ne sortent donc que très rarement – c’est le cas de le dire – « du cadre », de leur loge, de leur univers. Elles ne sont pourtant pas si différentes, pourraient même s'apprécier mais, et c'est le drame, leurs personnalités affirmées les tiendront toujours à distance.

Michel Fau et Amanda Lear s’en donnent à cœur joie dans la bouffonnerie. Mais derrière la farce pointe le pathétique : le comique ne toucherait pas aussi juste s’il ne recélait pas une pointe de tragique. Amanda Lear en Joan Crawford ne nous épargne rien de la déchéance physique de l’actrice, qui pleure sur sa gloire passée et craint plus que tout la vieillesse et le déclin. De son côté, Bette Davis/ Michel Fau n’est qu’une boule de rancœur et de colère accumulées, contre les hommes, contre Hollywood, contre la façon dont le système la traite. Lorsqu’elle finit par apprendre la mort de sa vieille rivale, derrière l’apparente bravade (« Ira-t-elle en Enfer ? »), la mélancolie perce l'espace d'un instant sous la carapace. Comme la preuve que sous la bouffonnerie, le drame n’est jamais bien loin.

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