lundi 25 novembre 2024

Entretien cache-cache avec Amanda Lear pour tenter de lever le voile sur ses derniers secrets ....

Entretien cache-cache avec Amanda Lear pour tenter de lever le voile sur ses derniers secrets, déceler des influences insoupçonnées et découvrir ses folles rencontres avec Jimi Hendrix, Salvador Dali ou… le fantôme d’Elvis Presley.

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Un rendez-vous avec Amanda Lear ne se refuse pas. Au Murat, brasserie chic de l’Ouest parisien où se côtoient people, footballeurs, stars du PAF, requins des affaires ou de la politique. Elle y a déjeuné quotidiennement pendant près d’une décennie. Le restaurant est en effet situé à quelques centaines de mètres de son ex-appartement du 6, rue Erlanger, celui duquel Mike Brant chuta mortellement du sixième étage, le 25 avril 1975. « C’était un très bel appartement que j’avais repris, avec une très belle terrasse. Mais tous les ans, à l’anniversaire de son suicide, un autobus de fans débarquait, suivi de la télévision israélienne. C’était un mausolée, alors je suis partie. »


Dès 1981, elle pose ses bagages près de Saint-Rémy-de-Provence, dans une « petite baraque » plantée au cœur du parc régional des Alpilles. « Tout le monde me disait : “Qu’est-ce que tu vas faire dans ce trou perdu de bouseux ? Il faut aller à Saint-Tropez !” » In fine, tout le gratin a débarqué. « Michel Drucker, Patrick Sabatier, Charlotte de Turckheim et même Omar Sy que j’ai récemment croisé au marché. » Depuis son mas provençal, l’ex-muse de Dali, David Bowie, Brian Ferry ou Brian Jones, transforme ses olives en huile, peint frénétiquement et profite de ses chats.


A la lumière de la sortie de son album « Let Me Entertain You » en microsillon, une tournée théâtrale avec « l’Argent de la vieille » et un retour en grâce avec une campagne d’un parfum grande couture, celle qui a passé sa vie a brouillé les pistes se confie sur les influences qui ont fait sa légende, des folles nuits du Swinging London, à sa passion pour Kim Novak ou les trèfles à quatre feuilles. Mais dit-elle vraiment toute la vérité ? A chacun de juger…


La chanson de votre répertoire que vous préférez ?


Amanda Lear « Follow Me ». Il y a deux ans, la maison Chanel m’a contacté pour utiliser ce titre pour sa campagne de Coco Mademoiselle. Ils ont payé une fortune colossale pour utiliser ma chanson écrite il y a plus de quarante ans. Chanel aimait l’atmosphère que ce titre dégageait pour leur nouvelle égérie Whitney Peak. Dans le monde entier, on l’a shazamé. Puis, les gens allaient l’écouter sur Spotify. C’est le jackpot ! Chanel vient de renouveler les droits de la chanson jusqu’en 2027. C’est génial : ça payera mon Ehpad.


Une musique pour nous faire aimer le disco ?


A l’époque de « Follow Me », aux débuts du disco, je détestais cette musique. Moi, je voulais faire du rock and roll. Ma maison de disques ne l’entendait pas de la même oreille. Elle m’avait fait signer un contrat de sept ans pour m’obliger à faire cette musique à chier. Aujourd’hui, si je devais garder un seul titre, je dirai « I Am What I Am » de Gloria Gaynor. C’est la meilleure.

Plutôt Beatles ou Rolling Stones ?


Musicalement, je préfère les Beatles. Leurs textes sont super intéressants comme dans « Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band ». Mais j’aime beaucoup la personnalité rebelle des Rolling Stones. Lorsque ces deux groupes ont déferlé sur Londres, en 1964-1965, cela a été une vraie révolution. On découvrait de nouvelles mélodies, couleurs et manières de s’habiller. Nous, les filles, étions toutes amoureuses de ces chanteurs maigres, aux cheveux longs, avec une guitare.


Votre première rencontre avec Brian Jones ?


Je sortais avec Tara Browne, l’héritier des bières Guinness. Un petit garçon riche, très mignon, blond et qui se droguait beaucoup. Il fréquentait souvent les Rolling Stones. C’est à travers lui que j’ai rencontré Brian. A notre première rencontre, je l’ai trouvé très attachant. Nous sommes partis un week-end à Paris avec lui et mon fiancé pour danser chez Castel. Salvador Dalí y était assis, entouré de sa cour de bimbos, coiffeurs et photographes. Il faisait son cirque avec sa canne. Lorsqu’il a compris qu’il avait à côté de lui un Rolling Stones, il a fait sa groupie. On lui a présenté Brian Jones. Puis, il s’est tourné vers moi : « Mademoiselle, vous avez une très belle tête de mort ! Vous êtes magnifique ! » Il disait ça car j’étais un mannequin maigre.

Il a tenu absolument à nous inviter à déjeuner le lendemain chez Lasserre. Brian Jones et mon petit copain, trop défoncés, ne se sont pas réveillés. J’y suis allée seule. En plein jour, Dalí est tombé amoureux de moi. Il m’a déclamé « Romance de la lune » de Federico García Lorca. Après cet épisode, Tara Brown est mort dans un accident de voiture. Les Beatles ont écrit une chanson là-dessus : « A Day in The Life ». Puis, j’ai eu une petite aventure avec Brian Jones. Cela n’a pas duré longtemps car il se droguait trop. Par contre, avec Dalí, on ne s’est plus jamais quitté.


Votre film préféré ?


« Vertigo » d’Alfred Hitchcock sorti en 1958 avec James Stewart et surtout Kim Novak, mon idole ! C’est grâce à elle que j’ai posée pour la pochette de « For Your Pleasure » de Roxy Music, sorti en 1973. Brian Ferry m’a vu défiler à Londres. Il cherchait une blonde mystérieuse, avec les cheveux platine. Sur son grand piano blanc, il y avait une photo de Kim Novak. On a commencé à parler d’elle. On s’est découvert plein d’atomes crochus. On est sorti ensemble et on a fait cette pochette en héroïne hitchcockienne, avec cuir et talons aiguilles. David Bowie est tombé amoureux de cette photo. Ma copine Marianne Faithfull nous a mis en relation. Un soir, à deux heures du matin, il nous a envoyé le chauffeur de sa limousine pour me rencontrer. Il avait la grippe, les cheveux rouges, courts, pas de sourcils. Je me suis dit : « Qu’est-ce qu’il est moche ! »

Si vous deviez retenir une seule chanson de David Bowie.


« Sorrow ». Celle que nous chantions ensemble. Je suis perchée sur un échafaudage et David, tout en blanc, me fait la sérénade. Elle est très douce, contrairement aux autres qui parlent toujours de Major Tom et du cosmos.


Votre roman de chevet, adolescente ?


J’étais très branchée science-fiction. Je lisais « le Seigneur des anneaux » de Tolkien ou « le Prophète » de Khalil Gibran… Des histoires mystiques autour de pays miraculeux, surréalistes, ésotéristes.


Et le dernier livre que vous avez lu ?


« L’Eloge de la folie » d’Erasme. Dans une société qui devient ultra-contrôlée et trop woke, la folie est exactement ce qu’il nous manque.

Votre bord politique ?


J’ai mes opinions comme tout le monde, mais elles doivent rester dans l’isoloir. Traditionnellement, dans le milieu théâtral, quand Sardou ou Delon révélaient voter à droite, on les traitait de fascistes. Donc, autant fermer sa gueule. Ceci dit, aucun candidat ne m’a jamais contactée pour le soutenir.


La plus grande méchante du cinéma ?


La reine dans « Blanche-Neige et les sept nains », avant qu’elle ne devienne sorcière. Quand j’ai vu le dessin animé de Disney, petite, j’ai tout de suite voulu être elle. Elle était bien habillée, elle avait des ongles longs et Joan Crawford avait servi de modèle pour son visage. Je n’ai jamais compris pourquoi des gens voulaient être Blanche-Neige. C’est juste une connasse qui passe ses journées à passer le balai pour des nains.


Votre cocktail préféré ?


Je ne prends plus une goutte d’alcool. Mais à l’époque où je buvais pas mal, pour garder ma ligne de mannequin, je buvais du brandy mélangé à du lait. C’est épouvantable de faire ça, mais ça me détendait tout en me nourrissant.

La soirée la plus folle du Swinging London ?


Toutes les soirées passées au Speakeasy, une boîte où tous les tous rockers finissaient à 5 heures du mat, ivres morts et drogués jusqu’aux yeux. C’est comme ça que j’ai eu la chance, ou la malchance, d’avoir Jimi Hendrix chez moi. On n’avait pas beaucoup d’argent donc on s’entassait avec plein d’amis dans une maison de trois étages, à Londres, à Kensington. Un jour, Jimi Hendrix a sonné à ma porte, avec sa guitare. Il avait tout le temps de gros problèmes sentimentaux avec des gonzesses qui lui couraient après. Sa vie était très compliquée, il fallait qu’il se cache pendant quelques jours. Une de mes colocataires lui avait dit de venir à la maison. Elle n’était pas là, j’ai dû l’accueillir. Il était adorable, mais tous les soirs, il finissait au Speakeasy. Il rentrait à des heures impossibles, toujours accompagné d’une serveuse décolorée. Un matin, en me levant, je tombe sur une de ses blondes platine, ma robe de chambre sur son dos. Je les ai foutues à la porte tous les deux.


L’œuvre d’art que vous aimeriez voler dans un musée ?


« L’Empire des Lumières » de Magritte. C’est très onirique et poétique. Dalí détestait Magritte. Il disait que c’était « du petit artisanat belge laborieux ».


Et l’œuvre la plus sous cotée de Dalí ?


Je n’ai jamais aimé les peintures de Dalí. Quand je lui disais, il rétorquait : « Vous ne comprenez rien ! ». A mon sens, toutefois, sa « Corbeille de pain » est largement sous cotée. C’est un petit tableau peint à la façon de la Renaissance, avec un tout petit pinceau. Ce n’est pas surréaliste mais sa technique est incroyable.

Votre photographe préféré ?


Aux Etats-Unis, Richard Avedon. J’adore sa précision, son noir et blanc. En Angleterre, David Bailey. J’ai travaillé avec lui des dizaines de fois, mais c’était toujours désagréable. Il criait : « Allez, pose comme ça, fais-moi bander ! ». D’une vulgarité sans nom.


Un cauchemar récurrent ?


Je suis assise sur les toilettes. Tout le monde me regarde et se moque de moi. J’en ai parlé à mon psychanalyste. Il paraît que c’est très bon parce que ça veut dire qu’on évacue la négativité qui est en nous.


Votre première hypnose ?


Je suis de nature très jalouse. Ce n’est pas un défaut chez moi, c’est une maladie. Je me sens complexée par rapport aux autres, toujours moins bien que telle chanteuse ou telle actrice. Je ne me crois pas à la hauteur ou légitime. J’ai voulu guérir de ça avec l’hypnose. Et maintenant tout va très bien, je suis la meilleure. (Rires)

Votre odeur préférée ?


Celle de la tubéreuse. C’est un parfum très sucré. Lorsqu’il y en avait à l’hôtel Meurice, la femme de Dalí ouvrait les fenêtres de la chambre en hurlant « C’est insupportable, il faut que je respire ! ».


Votre parfum préféré ?


J’ai découvert un parfum à New York qui s’appelait « Jungle Gardenia », avec évidemment comme note de tête de la tubéreuse. Toutes les filles noires de Harlem le portaient. C’était très sexy. De retour en Europe, on ne le trouvait pas, alors j’ai porté « Fracas » de Robert Piguet qui lui ressemblait. Mais ce n’était pas la même chose. Alors je suis retourné aux Etats-Unis pour acheter tous les stocks dans les boutiques de souvenirs. « Jungle Gardenia » est désormais introuvable. Pour notre rencontre, je porte « l’Interdit » de Givenchy. Mais j’ai toujours voulu lancer mon propre parfum que j’appellerais « Erection ».


Une collection ?


Je collectionne les trèfles à quatre feuilles depuis des années. Je passe mon temps à quatre pattes dans les prairies. Je les aplatis et les garde dans un livre. J’en ai trouvé des centaines.

Un phénomène paranormal ?


Dans le passé, je m’amusais à faire tourner les tables ou à parler aux esprits. Je ne le fais plus car je me suis rendu compte qu’on jouait avec des puissances inconnues. Il y a une vingtaine d’années, on avait posé un verre sur une table et j’ai reçu un message d’Elvis Presley. Il m’a dit : « Je suis très content que tu chantes ma chanson. » En 1975, j’avais fait une reprise de « Trouble ». Je lui ai dit de me laisser tranquille !


Le plus beau paysage de Provence ?


La vallée des Baux. C’est un paysage magnifique. On raconte que lorsque Dante est venu en Provence, il s’est rendu là-bas. C’était la pleine lune et toutes les roches étaient blanches avec des formes fantasmagoriques. Ici serait née « la Divine Comédie ».


L’application de votre téléphone que vous utilisez tout le temps ?


TikTok, je passe ma vie dessus. Il n’y a que des conneries et des mensonges éhontés, mais cela me fascine. Cela me permet aussi de commander tout un tas de bêtises sur des sites chinois. J’achète beaucoup de fringues et de chaussures. Et lorsque j’ouvre mon colis ça ne correspond jamais à la photo. Mais, parfois, j’ai de bonnes surprises, comme avec ces lunettes fumées glanées sur Shein que je porte aujourd’hui et qui m’ont coûté 4,50 dollars.

La question qu’on vous pose tout le temps ?


En Italie, ils veulent connaître mes secrets de beauté et savoir si je me suis fait lifter. Je leur réponds : « Non ! Mon seul secret est de toujours m’asseoir à côté d’une moche. Comme ça, j’ai l’air bien ! »


La dernière fois que vous avez menti ?


Dans cette interview, pardi !

Propos recueillis par Julien Bouisset