Article from Sylvain Merle for Le Parisien ....Click !« Chaque fois que je faisais un gala ou un film, je m’achetais un arbre », raconte Amanda Lear, qui boise depuis quatre décennies ce qui est devenu son éden. LP/Olivier Corsan
« Pourquoi voulez-vous me voir? Je n'ai rien à vendre… » nous disait-elle au téléphone. Il a fallu insister pour que la Reine Lear nous accueille dans son refuge provençal qu'elle ne voulait pas montrer. Rendez-vous avait été pris au café. Masque noir sur le visage, lunettes noires, ensemble tout aussi noir, Amanda Lear arrive à pied. Chat échaudé craint l'eau froide.
Nous sommes dans le parc régional des Alpilles, près de Saint-Rémy-de-Provence, où vécut Van Gogh. Une région d'adoption depuis quarante ans pour la chanteuse et comédienne, et un pur hasard. « A l'époque, on ne jurait que par Saint-Tropez, raconte-t-elle. J'ai failli y acheter la maison de Brigitte Bardot qui s'était ravisée au dernier moment. » A la suite de cette déconvenue, elle visite le coin dont elle tombe raide. Après une première maison à Saint-Rémy, qu'elle n'a gardée que « deux ou trois ans », elle s'est ancrée au cœur de ce village.
Le soleil tape, le mistral bastonne et les cigales tintamarrent alors qu'on la suit dans une petite rue longeant un mur vert de vigne vierge. Une porte de bois en ogive s'ouvre sur son écrin de verdure. « Vous avez votre maillot ? » lance-t-elle en riant. A droite, une piscine, des parasols bleu et rose. « C'est pour les copains, la piscine, précise-t-elle. Je ne suis pas en vacances moi, je vis ici à l'année. » On progresse dans un jardin très arboré. Des orangers, des tilleuls et surtout des oliviers, âgés.
« Chaque fois que je faisais un gala ou un film, je m'achetais un arbre, poursuit-elle. Le grand luxe, c'est d'appeler un pépiniériste pour demander un olivier de 200 ans, rigole-t-elle. Il vient, fait un trou et pan, le soir vous prenez l'apéro sous un olivier bicentenaire. » Près de quatre décennies, donc, qu'elle boise cet éden dont elle récolte les fruits, des olives, principalement. « Je les porte au moulin, à Maussane, où Aznavour allait. Je suis oléicultrice », insiste-t-elle. Quelques bouteilles d'huile par an, « c'est délicieux de savoir qu'elle provient de mon jardin. »
Entre deux haies de buis, une allée mène à la terrasse, devant la maison. Haute d'un étage, elle est garnie de volets et portes d'un bleu lavé, en harmonie avec le jaune terre du torchis de la façade. A droite, un caprin en plastique semble surgir d'un fourré. « Un hommage à Fergie, ma chèvre », souffle-t-elle. Colliers de perles au cou, la bête de résine semble garder un petit escalier extérieur qui monte à la chambre de notre hôtesse, la pièce qu'elle préfère.
« Il y a un petit côté Roméo et Juliette qui m'a plu, glousse-t-elle. Je peux recevoir un amant sans que la maisonnée n'en sache rien. » On y jette un œil, avec sa bénédiction. Un lit à baldaquin sur lequel s'enroule un lierre factice, une tête de lit en forme de coquille Saint-Jacques. « Dans mon lit, je suis une perle », sourit-elle.
« Quand j'ai acheté, c'était le parking du village ici, presque en ruine, j'ai mis un point d'honneur à en faire un petit paradis. » C'était au début des années 1980. Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts. D'Avignon, tout proche. De la Sorgue, aussi, et ceux de L'Isle, paradis des brocanteurs. Elle y a chiné tous ses meubles. « J'aime que les objets aient des histoires… Vous me voyez chez Ikea ? »
Des murs colorés, des faïences bleu et jaune, un antique chandelier d'église, des lanternes de fer forgé, des paniers au plafond de la cuisine, toute carrelée, des tableaux au mur — on y reviendra — des meubles anciens voire défraîchis, il règne ici une ambiance de bohème provençale. On s'installe sous une tonnelle végétalisée pour une discussion à bâtons rompus, balayant des années de fêtes, de rencontres incroyables, de moments privilégiés avec Dali, dont elle fut la muse, de Bowie, dont elle fut l'amoureuse, d'anecdotes dont elle paraît intarissable.
«Je n'ai jamais voulu ce qui m'est arrivé, moi je voulais peindre»
« Quand je dis que j'ai croisé Jimi Hendrix, on me regarde comme si j'étais Jurassic Park. » Elle raconte l'avoir mis à la porte de chez elle, à Londres, parce que sa poule du jour lui avait piqué son peignoir, à elle. Faut pas pousser la tigresse Amanda dans les orties. C'est drôle, foisonnant, piquant. Sur ses meubles trônent des photos d'elle avec les Stones, Elton John, Andy Warhol…
« On dit que je suis une légende, ça veut dire quoi ? fait-elle mine de s'agacer. Que je suis toujours vivante ? Oui. C'est que je suis une survivante, j'ai connu les années 1960, 1970, 1980 et je suis toujours là […] J'ai connu des gens extraordinaires, mais je n'ai jamais voulu ce qui m'est arrivé, moi je voulais peindre. » Aujourd'hui, qui aimerait-elle rencontrer ? « Le pape, je l'aime beaucoup, je lui demanderais de me confesser. » Il y aurait beaucoup à dire ? « Je suppose… Dans ce métier on ne pense qu'à notre nombril, on est des monstres, les gens du showbiz… »
On parle aussi de son avenir, dans le showbiz, justement, qu'elle ne planifie pas vraiment. Elle a des projets qui couvent. Avant la crise du Covid, un projet de théâtre était sur les rails, « avec Michel Fau », précise Amanda Lear. Repoussé. Quand la revoit-on sur scène, alors ? « Jamais. Il va falloir me supplier à genoux. » Ce qui la rebute, c'est l'engagement long. Elle partirait bien sur une captation pour la télé, plus confortable. Côté cinéma, elle apparaît dans « Miss », de Ruben Alves, qui sortira à la rentrée. Et puis elle s'attelle à un nouvel album « posthume », s'amuse-t-elle à dire.
« Pour la première fois j'ai eu envie de reprendre des classiques français ». Du Charles Trenet, notamment. « On a déjà tourné deux clips et enregistré trois titres, il faut que je fasse attention, j'ai tendance à choisir des chansons un peu tristounettes, sur la nostalgie ». Pas vraiment la retraite annoncée il y a trois ans. « Je suis retraitée active, sourit-elle. Disons que je me fais beaucoup prier, plus vous dites non et plus on vous veut. » Récemment, Marc Almond, du groupe Soft Cell, lui a proposé un duo. « Sympa comme proposition, mais j'ai été regardé sa photo, il a 100 ans le type ! » Elle rit de sa pique.
La peinture est centrale pour Amanda Lear, qui entasse ses toiles chez elle, dont cette femme aux cheveux en fleurs : « Pendant le confinement j’ai peint comme une folle. »/LP/Olivier Corsan
Son petit miroir à portée de main, elle met régulièrement de l'ordre dans des cheveux que le vent bouscule aussitôt. « Je ne planifie rien, je laisse venir… Peut-être que demain je vais recevoir un appel de Woody Allen, on ne sait pas… Je crois au destin. Ou demain je peux chopper le Covid et mourir. » On la croit, un peu, elle qui entoure constamment son être et sa vie d'un flou, forcément artistique. A commencer par sa date de naissance, jamais la même. Ce qui a pu lui jouer des tours. « Je l'avais mise en code de l'alarme, mais comme j'en change tout le temps, je ne me souvenais plus laquelle j'avais mise, ça sonnait constamment », rit-elle.
«J'ai des fleurs plein la tête et pas de regrets»
Répartie, humeur et humour, Amanda Lear est une amuseuse. Mais pas uniquement : « Les gens ne me connaissent pas. Ils m'imaginent toujours sur les red carpets (NDLR : les tapis rouges). J'ai une image publique, alors je donne ce qu'ils demandent, je mets mes paillettes, montre mes guiboles… C'est mon fonds de commerce, mais, je préfère de beaucoup l'Amanda Lear qui est ici, tranquille, qui fait sa cuisine, qui met de l'ail partout, qui peint. »
La peinture, un art central pour elle. Elle était aux Beaux-Arts avant de rencontrer Dali, dont elle n'aimait pas le style, lui préférant Picasso ou les impressionnistes… Van Gogh, aussi, dont elle a encadré des lettres à son frère, Théo, dégotées chez un brocanteur. Son atelier, elle l'a installé à même le salon. D'un côté la télé, de l'autre le chevalet, les tubes de couleur et des toiles, par dizaines, accotées aux murs. « Pendant le confinement j'ai peint comme une folle, c'est ma thérapie », confie-t-elle.
« Au début, j'étais plutôt dans les ocres, du vert brûlé, maintenant je peins des couleurs vives, directement du tube, du jaune citron, du bleu électrique. J'aime les couleurs », glisse-t-elle. Parmi les tableaux, des femmes aux cheveux en fleurs. « J'ai des fleurs plein la tête et pas de regrets, surtout pas de regrets. » Des toiles qu'on peut aussi admirer aux murs. Il y a Chaussette, sa chatte borgne représentée sur fond doré avec une collerette en dentelle.
«Si on n'est pas optimiste, on ne vit pas vieux»
Un autoportrait, là, datant de 1981. On la voit en reine pourtant une fraise Renaissance, un micro dans la main gauche, une mappemonde sous la droite et ses 33-tours devant elle. Des natures mortes, sur bleu profond. Doudou, le chat siamois disparu. Elle a eu jusqu'à treize chats, beaucoup ne sont plus là. Elle soupçonne un empoisonnement de voisinage… « Si je pouvais vivre de ma peinture, on ne me verrait plus. » Cachée, et heureuse, après avoir été tant exposée… Elle s'est « régalée » pendant le confinement. « J'étais seule, je faisais la lessive, la vaisselle, je suis passée de superstar à femme de ménage, et j'ai adoré. »
Elle se dit « de moins en moins sociale », mais prône le rire comme régime de santé. Seule ? « Je regarde la télé, mes chats me font rire… Je vous avoue que je me force un peu à voir le verre à moitié plein, je suis d'un tempérament plutôt pessimiste et parfois, je m'oblige à me dire : Ça va aller. Si on n'est pas optimiste, on ne vit pas vieux ».
La crise l'a amenée à réfléchir « à la vacuité, à l'inutilité de courir après le succès, l'argent ». Reste « qu'une vieille baraque coûte cher ». « Tout mon pognon y passe, mes amis me disent que c'est trop grand, que je devrais vendre. Mais je veux mourir ici, affirme-t-elle. Au pire, je la mettrai en viager. » Veut-elle s'y faire enterrer ? « Non, brûlée, direct ». Et les cendres ? « On les mettra avec celles de la chèvre et de mes trois labradors au fond du jardin. »