Icône glam, muse, chanteuse, actrice, artiste jusqu’au bout des ongles : Amanda Lear inaugure une exposition de ses tableaux à Milan. Interview.
Par Francesca Amé
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« Allo, c’est Amanda Lear, comment ça va ? Quel temps fait-il à Milan ? Ici à Paris, c’est grand soleil, on se croirait en plein été. Je suis désolée, il ne me reste qu’un filet de voix pour parler, j’enregistre un nouvel album et je travaille beaucoup. » La star s'éclaircit la voix, et la conversation fleuve commence, sa voix se fait plus brillante au fur et à mesure qu’Amanda Lear se raconte : un débordement de vie, d’énergie et de pensées…
Alors, vous travaillez aussi sur un nouvel album ?
Amanda Lear. Oui, ce sera mon 23e disque, vous vous rendez compte ? Ça paraît fou. Nous sommes en train de finir d’enregistrer cette semaine, pour une sortie en automne. Le son est très particulier, très différent de tous les autres. Tout ça, c'est de la faute de Chanel ! »
Comment ça ?
« Depuis qu’ils ont utilisé Follow Me, une chanson du siècle dernier (la chanson disco date de 1978 ndlr) pour une campagne de 2023, la chanson est devenue virale. J’étais même dans les meilleures ventes en Corée du Sud, alors que je n’y ai jamais mis le pied. Alors, Universal a dû se dire que je marchais encore, et ils m’ont envoyée en studio. Pour la pochette de ce nouvel album, je ne veux pas une des sempiternelles photos retouchées, je veux utiliser un de mes tableaux. Je peins depuis toujours, mais peu de gens le savent. C’est dommage. »
Dans Mon Dalí (sorti en 2004) vous racontez les coulisses de votre relation très spéciale. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas grâce à lui que vous êtes devenue peintre…
Une des premières choses qu’il m’a dites après notre rencontre, c’était : « Amanda, si on veut continuer à se fréquenter, il ne faut jamais que tu me montres un de tes tableaux. Les femmes ne savent pas peindre. » Quand je lui disais que nous étions collègues, il se mettait à rire.
Pourquoi le considériez-vous comme votre collègue ?
J’ai commencé à peindre très jeune. J’ai étudié aux Beaux-Arts de Paris. Je n’aurais jamais pensé faire carrière dans le monde du spectacle. Mon seul rêve était de devenir peintre. J’étudiais la perpective, je passais des heures dans les musées. Quoi qu’il en soit, après cette réplique de Dalí, une dizaine d’années plus tard, il s’est produit quelque chose d’insolite.
Dites-nous-en plus !
Un jour de pluie, j’étais comme toujours à ses côtés dans son atelier, chez lui. Mais j’étais agitée, je n‘arrêtais pas de bouger, je mettais la musique. Gêné, Dalí m’a dit : « Peins, ça te calmera ». À l’évidence, il me lançait un défi.
Un défi que vous avez remporté ?
Je me suis mise au travail, très concentrée. Il m’a dit : « Ne le finis pas. Si tu le finis, il va être nul. Mais si tu le laisses comme ça, les gens se diront “dommage, il aurait pu être beau.” » C’était une provocation. C'était tout lui. Mais j’ai quand même continué à peindre. À dire vrai, moi je n’aimais pas trop la peinture de Dalí.
Vraiment, vous n’aimiez pas le style de Dalí?
Je préférais De Chirico, Magritte, Velázquez. Et puis avec mon visage et mon corps, la vie m’a amenée ailleurs. J’ai fait modèle, puis j'ai commencé à chanter, à faire de la télévision. Aujourd’hui, j’alterne musique, télévision, théâtre, je travaille énormément. Mais la peinture ne m'a jamais quittée. C’est une activité peu connue, mais quand j’expose mes tableaux, je voudrais que le public comprenne qu’Amanda Lear, ce n‘est pas que Follow Me. J'ai exposé à Bâle pendant la prestigieuse foire Art Basel, et vous savez ce qu’on m’a dit ?
Dites-nous ?
Que je vendais mes toiles pas assez cher. Que j’aurais dû ajouter un zéro parce que les collectionneurs aiment ce qui coûte cher. Moi, le business de l’art, ça ne plaît pas tellement. C’est mon galeriste qui détermine les prix.
Quand est-ce que vous peignez ?
Tout le temps. Même quand je tourne un film ou que je joue au théâtre, dès que j’ai un instant de libre, je retrouve mes pinceaux. Je n’ai besoin de rien d’autre. Je peins des portraits, mais depuis quelque temps, je peins des paysages mélancoliques, ça change. Je peins par période. Quand je vais bien, j’utilise beaucoup de couleurs. Quand je suis triste ou frustrée, mes tableaux deviennent plus sombres. La peinture est un travail intime, personnel. Devant une toile, on se met à nu.
Et ça marche ?
Oui, ça marche très bien. C’est comme vous, quand vous écrivez un article, vous êtes seul devant votre ordinateur. Je ne suis pas psy, mais en observant mes travaux, on peut voir beaucoup de choses : la colère, la liberté, différentes émotions. La peinture réaliste ne m’intéresse pas, ce qui m’intéresse, ce sont les rêves, le monde intérieur, ce que j’imagine dans ma tête. La peinture est une thérapie fantastique.
Quelle est votre opinion sur l’art contemporain ?
Aujourd’hui, la mode est à une peinture moche faite pour le business. Pour moi, l’art c’est une activité artisanale, faite à la main, pas comme Jeff Koons qui ne touche même pas un pinceau, et qui a une équipe qui s'occupe de tout. La peinture demande du temps, de la patience, de la dévotion. Ce n’est pas un objet que l’on achète comme un actif financier, ça doit faire partie de votre vie. J’aimerais que l’on apprenne mieux l’art aux gens.
Vous avez déjà pensé à ouvrir un espace d'exposition pour vos œuvres ?
Ça me plairait, maintenant que je suis en train de devenir grande, il faut que je pense au futur…Peut-être en Suisse, où ils savent très bien organiser les choses, ou en Italie, à Venise, à Carrare. C’est le pays de la peinture. Dès que j’y vais, j’ai envie de peindre. Je ne pourrais jamais faire ça à Paris : j’ai besoin de la lumière du Sud comme les grands maîtres d’autrefois. C‘est pourquoi j'ai une maison en Provence. Je suis également marraine de l’hôpital de psychiatrique juste à côté de chez moi.
C'est-à-dire ?
Je vis proche de Saint-Paul-de-Mausole, où existe encore cet ancien couvent devenu hôpital psychiatrique dans lequel est même passé Van Gogh. De nos jours, c’est une clinique, et les patients ont des activités pour leur bien-être. Parmi lesquelles la peinture, et un projet dont je m’occupe. À part ça, je ne pense qu’à moi, les informations sont si déprimantes qu’il n’y a que la peinture pour me faire oublier les horreurs du monde. La peinture me sauve, me maintient en vie. C’est ma thérapie, mon élixir.
Amanda Lear expose à Milan «In the Eye of Amanda Lear» (du 23 mai au 8 juin), 50 œuvres qui permettent de découvrir l’univers pictural de l’artiste fait d’ironie et même parfois de mélancolie.