jeudi 8 février 2024

INTERVIEW – Amanda Lear : « Un lifting  ? Moi ? Jamais  ! »

 INTERVIEW – Amanda Lear : « Un lifting ? Moi ? Jamais ! »

Francois Ouisse for Gala Magazine ...


Son âge reste un mystère mais l’ex-muse de Salvador Dalí assume désormais de jouer les vieilles dames, pourvu qu’elles aient un grain de folie. Comme elle. Libre et inclassable, la reine des punchlines se confie comme elle joue : sans compter.




Au cinéma, la tornade blonde mettra le feu dans quelques jours à la Maison de retraite* de Kev Adams dans la suite des aventures de sa joyeuse bande de seniors. En attendant, c’est sur la scène du Théâtre Libre, à Paris, qu’elle va faire rire le public dans L’argent de la vieille**, une pièce adaptée d’un film italien de Luigi Comencini. Son rôle ? Celui d’une comtesse milliardaire qui n’aime rien tant que plumer des pauvres en les défiant à la belote. Entre deux répétitions, elle a accepté de jouer en coulisses le jeu des confidences tous azimuts. L’âge (elle aurait selon les sources 84, 77 ou 73 ans!), le couple, la révolution des genres… Amanda abat ses cartes et nous bluffe toujours.


GALA : L’argent de la vieille, Maison de retraite 2… Vous qui avez toujours été évasive sur votre date de naissance, vous assumez enfin de jouer les vieilles dames ?

AMANDA LEAR : Mais les vieilles ont bien changé. Regardez les Américaines comme Jane Fonda : à 85 ans, elles paraissent beaucoup moins perchées sur des Louboutin, liftées de chez liftées. Pour Maison de retraite 2, les maquilleuses ont même dû me vieillir. Il est vrai qu’entre Liliane Rovère et Marthe Villalonga, qui ont 91 ans toutes les deux, je faisais presque figure de petite jeune avec Chantal Ladesou

GALA : Le temps qui passe ne vous pèse pas ?

A. L. : Mais non. Mes copines de Londres, quand on se voit, elles commencent toutes leurs phrases par: « A notre âge ! » et se lamentent « C’est terrible, mon mari m’a quittée pour une plus jeune… » Mais tant mieux, bon débarras! Tu as une pension alimentaire, tu n’as qu’à te trouver un gigolo et aller à Miami. Tu peux même mettre une minijupe vert pomme si ça te chante. Vieillir, c’est être libre. C’est même devenu tendance, comme le prouve la mode qui raffole aujourd’hui des mannequins seniors.




GALA : Quitte à tricher un peu avec la chirurgie esthétique ?

A. L. : Ouh là là, non ! Moi, je ne fais jamais de lifting ! J’ai trop peur de la chirurgie.


GALA : Ah ! Bon ? Vous n’avez rien fait ?

A. L. : [Elle soulève ses cheveux.] Vous pouvez envoyer un médecin chercher les cicatrices, il n’en trouvera pas. Mais je suis en contact avec le docteur Sinclair, de Harvard, un spécialiste du vieillissement qui travaille sur des molécules qui stoppent le processus. Il y a le NMN, le resvératrol… J’en prends tous les matins et c’est incroyable, j’ai arrêté de vieillir. J’ai une énergie que je n’avais pas il y a sept ou huit ans.




"Sincèrement, je ne m’ennuie jamais car j’adore la solitude"

GALA : Vous vivez seule dans votre maison de Provence. A quoi ressemble votre vie sortie de scène ?

A. L. : Je suis sinistre [elle éclate de rire] ! Non, je peins, je fais des mots croisés. Sincèrement, je ne m’ennuie jamais car j’adore la solitude et il y a toujours quelque chose à faire, entre le jardin, les animaux qu’il faut conduire chez le vétérinaire… J’ai des chats, des chiens, une chèvre. J’ai mis des caméras dans la maison pour les suivre sur mon téléphone quand je ne suis pas là.


GALA : Justement, vous allez passer trois mois à Paris pour jouer au théâtre. Qui va s’en occuper pendant ce temps-là ?

A. L. : Mais j’ai mon staff, chéri ! Ma « Mary Poppins », comme je l’appelle, qui veille sur mes chats, mon jardinier… Tout ça coûte très cher mais j’aime tellement les animaux. Ils ne me déçoivent jamais, eux.


GALA : La vie de couple, en revanche, ce n’est pas pour vous ?

A. L. : Ah ! C’est clair! C’est un tel bonheur de ne rendre de comptes à personne, de s’habiller comme on veut, de manger ce qu’on veut, de regarder la télé quand on veut. J’aime être entourée de plein d’amis mais je n’aime pas la vie de couple. Quand on me demande ce que je pense du mariage gay, je réponds que je ne suis pas pour le mariage tout court !

GALA : Dans L’argent de la vieille, vous jouez une comtesse qui mise des fortunes aux cartes. Dans la vie aussi, vous êtes accro au jeu ?

A. L. : Pas du tout, je ne sais même pas jouer à la belote. Pour la pièce, on a dû m’apprendre les termes comme « banco », « dix de der », je n’y connaissais rien.


GALA : Elle est milliardaire. Et vous, avez-vous connu la grande vie ?

A. L. : J’ai eu pendant deux ans une relation avec un coureur automobile, un riche héritier allemand. Il m’emmenait autour du monde en avion privé, m’avait installée dans un appartement somptueux à Londres et offert une Rolls. Tous mes copains se foutaient de ma gueule en me disant que j’avais l’air ridicule. Et ils avaient raison. L’argent ne m’a pas rendue heureuse et les mecs riches sont ennuyeux. Je suis davantage attirée par les morts de faim, les manuels.


GALA : Mais quand on a connu Dalí, Bowie, le Swinging London, la folie du disco, on trouve vraiment du plaisir à monter sur la scène d’un théâtre parisien tous les soirs?

A. L. : Il n’y a pas de plus forte poussée d’adrénaline que de monter sur une scène. Le théâtre, c’est fatigant, mal payé et terrifiant : j’ai le trac comme pas possible. Mais quand on sort de scène, c’est à chaque fois une victoire.

“Les mecs riches sont ennuyeux, je suis plus attirée par les morts de faim, les manuels”

GALA : On sent aussi chez vous un désir de reconnaissance…

A. L. : Quand j’ai commencé le théâtre, on se foutait un peu de ma gueule : « La reine du disco sur les planches, ah-ah ! » Puis j’ai appris à placer ma voix, j’ai travaillé les déplacements. Et un jour, Michel Fau a voulu jouer avec moi Qu’est-il arrivé à Bette Davis et Joan Crawford ?, une pièce grave où j’incarnais une diva alcoolique et sur le déclin. Même les Macron sont venus nous voir. Le jour où Michel Bouquet a tapé à la porte de ma loge pour me féliciter, je me suis dit que j’avais gagné le respect du métier.


GALA : Vous avez beaucoup joué sur l’ambiguïté sexuelle. Vous êtes heureuse de voir qu’on peut aujourd’hui s’assumer publiquement non-binaire ?

A. L. : Avant, les gens étaient mis dans des cases, regardés de travers. Alors oui, quand vous voyez Drag Race ou des transgenres dans des films, ça fait plaisir de voir souffler un vent de soulagement et de liberté. Les repères bougent. J’ai tourné pour Prime Video dans Escort Boys avec un garçon entièrement nu, je n’avais jamais vu ça ! Cette série propose aussi une intéressante inversion des rôles : c’est la femme qui décide et paie le mec pour faire l’amour.

GALA : Ça vous plaît, cette idée que les femmes prennent le pouvoir ?

A. L. : Ça vient de très loin. Dalí m’avait dit : « Vous allez voir l’arrivée du matriarcat. » Il avait vu juste. Les femmes s’affirment, c’est une bonne chose, mais il ne faut pas que ça aille trop loin non plus. Vous avez vu le film Barbie ? Ken, il ne sert plus à rien, le pauvre. De nos jours, les hommes sont déboussolés.


GALA : C’est ce qui m’étonne chez vous : vous êtes paradoxale, à la fois accessible et diva, avant-gardiste et tradi…

A. L. : C’est peut-être à cause de mon âge. J’ai connu une époque où les hommes nous aidaient à changer une roue, nous tenaient la porte au restaurant. On se sentait désirées par eux. Aujourd’hui, chacun peut affirmer sa liberté ou sa différence et c’est extraordinaire. Mais je suis contre une société wokiste qui veut tout changer, effacer des milliers d’années de civilisation.


GALA : Avez-vous le regret de ne pas avoir eu d’enfant ?

A. L. : Non parce qu’après coup, je me rends compte qu’il faut être très égoïste pour en avoir quand on exerce notre métier. Ce n’est pas ce qu’on attend d’une maman, qu’elle soit sur scène tous les soirs, Noël inclus, qu’elle se regarde sans cesse le nombril. Nous faisons un métier de « monstres ». Ce n’est pas pour rien qu’on dit « monstres sacrés »…

GALA : Avez-vous encore des rêves ?

A. L. : Mais plein ! Je rêve de tourner avec Pedro Almodóvar, d’être assise au Café de Flore et de tomber sur Woody Allen qui me dise : « Amanda, je vous cherchais partout ! » Je crois aux rencontres de hasard qui provoquent des aventures. Je suis une optimiste qui vois toujours le verre à moitié plein… ce qui laisse encore un peu de place pour mettre de la vodka dedans [Elle éclate de rire] !

* Maison de retraite 2, de Claude Zidi Jr., avec Kev Adams, Jean Reno, Marthe Villalonga, Amanda Lear… En salles le 14 février.

** L’argent de la vieille, au Théâtre Libre, Paris 10e , jusqu’au 21 avril 2024.


Cet article était à retrouver dans le Gala N°1599, disponible le 1er février

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