Sur la scène du théâtre de la Porte Saint-Martin, Amanda Lear se glisse dans la robe fourreau de Joan Crawford, face à Michel Fau en Bette Davis. Un rôle qui semble avoir été écrit pour elle. Avant la représentation, Pierrick Geais l’a rencontrée dans sa loge, pour quelques confidences.
PAR PIERRICK GEAIS FOR VANITY FAIR . . .
Elle avait juré de ne plus jamais remonter sur les planches. Puis Michel Fau est venu sonner à sa porte avec un étonnant projet : rejouer la pétaradante rivalité des stars hollywoodiennes Bette Davis et Joan Crawford, partenaires à l’écran dans le mythique Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? (1962). « Au départ, il voulait que l’on fasse une pièce de Tennessee Williams. Puis je l’ai recroisé en juillet au festival d’Avignon, et il m’a fait cette proposition. On a monté cette pièce en seulement un mois. Croyez-moi : Michel Fau est génial, mais aussi complètement cinglé », plaisante d’emblée Amanda Lear, quand je la retrouve dans sa loge du théâtre de la Porte Saint-Martin. Avant de signer pour cette folle aventure, elle avait tout de même tenu à imposer ses conditions : ne pas jouer plus de trois soirs par semaine, ne faire que vingt représentations, et surtout, rester assise tout du long. Mais finalement, à chaque lever de rideau, Amanda Lear danse, chante, dévale des escaliers…On ne peut pas dire que son rôle soit de tout repos. « Plus les répétitions passaient, plus Michel Fau ajoutait des séquences, plus il me demandait de faire des choses en plus. » Le metteur en scène et acteur – c’est d’ailleurs lui qui interprète Bette Davis – a fini par l’embarquer dans son univers, plein de fantaisie et d’outrance. Michel Fau, connu pour son goût du travestissement, a une définition toute personnelle du théâtre, qui doit être, selon lui, baroque, excessif et kitch à l’excès. « Et je m'aperçois que le public adore ça : il rit dès les premières minutes », s'enthousiasme Amanda Lear, qui était plutôt habituée à l’académisme du théâtre de boulevard. D’ailleurs, elle ne s’en cache pas : elle aussi s’amuse beaucoup avec cette pièce.
« J’ai eu des aventures avec tous les plus beaux hommes du monde »
Sa robe fourreau à paillettes l’attend sur un portant. Dans quelques heures, elle devra la revêtir à nouveau, tout comme cette épaisse perruque brune, qu’elle n’aime pas vraiment, car elle cache sa chevelure blonde. Sur le miroir de sa coiffeuse sont accrochées des photos en noir et blanc. On y reconnaît Joan Crawford, prise sous tous les profils, sous toutes les coutures. « Avec ses gros sourcils et sa bouche rectangulaire, elle s’était caricaturée elle-même. Je trouve ça très moche, mais bon, tous les soirs, je suis obligée de me maquiller comme ça. » Michel Fau lui avait bien proposé le rôle de Bette Davis, mais le langage de charretier de cette dernière ne convenait pas à Amanda Lear. Malgré ses sourcils proéminents, Joan Crawford lui semblait bien plus glamour. « Elle est folle, c’est très jouissif à jouer », admet-elle, avant de me donner une autre explication : « Enfant, quand je regardais la Blanche-Neige de Disney, j’adorais la méchante reine. Plus tard, j’ai appris que les traits de ce personnage avaient été inspirés par ceux de Joan Crawford. Alors, que je l’incarne un jour, ça devait forcément arriver. »
Amanda Lear dans la peau de Joan Crawford, cela sonne en effet comme une évidence. Les deux femmes partagent ce même goût de la formule et de la réplique piquante, n’ont jamais peur de dire ce qu’elles pensent, que ça plaise ou non. Un autre point commun ? Leur tableau de chasse amoureux, particulièrement impressionnant. « Joan avait couché avec tout-Hollywood, même avec le réalisateur de Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?, Robert Aldrich. Mais elle n’aimait pas vraiment les hommes, elle faisait ça par ambition », me précise Amanda Lear. Puis sur le ton de la confidence, elle reprend : « Moi, c’est vrai que j’ai eu des aventures avec tous les plus beaux hommes du monde : des mannequins, des acteurs, des chanteurs… mais même des plombiers, j’ai eu beaucoup de chance ! », lâche-t-elle dans un éclat de rire.
De la chance, le mot revient souvent dans notre conversation. C’est d’ailleurs sur ce point que la comédienne se sent le plus éloignée de son personnage : si Joan Crawford était dévorée par l’ambition, Amanda Lear, elle, s’est toujours laissé porter par le hasard.
« Votre carrière s’est donc construite par le seul hasard, jamais sans calcul ?
- Oui, je me rends compte que je manque totalement d’ambition. Je n’ai jamais rêvé de grands rôles ou de récompenses. Beaucoup de réalisateurs et de metteurs en scène sont venus me chercher, mais j’ai souvent refusé. »
Amanda Lear croit surtout aux rencontres. Nombreuses sont celles qui ont jalonné son existence : David Bowie, avec lequel elle a vécu une relation passionnée, ou encore Salvador Dalí, son pygmalion, pour ne citer qu’eux. « D’ailleurs, en sortant d’ici, je vais peut-être croiser Woody Allen, à la terrasse d’un café, qui me proposera un rôle », plaisante-t-elle. Elle avoue avoir été gâtée par la vie. Sans langue de bois, elle se réjouit d’avoir vendu des millions de disques « sans jamais avoir appris à chanter », ou de remplir des théâtres « sans jamais avoir mis les pieds au cours Florent ».
Un verre de vodka
Aussi, contrairement à Joan Crawford, Amanda Lear n’a pas peur de ne plus exister, de disparaître médiatiquement. De son plein gré, elle s’est même exilée à Saint-Rémy-de-Provence, où elle vit désormais entourée de ses chats et de ses pinceaux. Elle peut passer des journées entières à peindre dans le silence. L’agitation parisienne ne lui manque pas, pas plus que les soirées et les galas. « On ne m’invite plus aux premières depuis longtemps, car on sait que je n’y vais jamais. » Récemment, elle a d’ailleurs refusé une proposition d’Alessandro Michele, directeur artistique de la maison Gucci, qui voulait qu’elle soit l’égérie d’un nouveau sac. Le shooting devait absolument se dérouler à Los Angeles, mais Amanda Lear n’avait aucune envie de sauter dans un avion pour un voyage express. Faye Dunaway l’a finalement remplacée.
On l’aura donc compris, Amanda Lear ne court plus après la gloire. « Je me moque de tout ça, mon chéri », répète-t-elle à plusieurs reprises. Malgré tout, la solitude des différents confinements a nourri chez elle l’envie de se lancer dans de nouveaux projets. Elle sort bientôt un album, Tubéreuse, du nom de cette fleur vénéneuse, sa préférée, dont Salvador Dalí lui envoyait des centaines de bouquets. Loin du disco qui a fait son succès, la « Queen of Chinatown » s’y dévoile toute en mélancolie. Et puis, il y a aussi cette pièce, Qu’est-il arrivé à Bette Davis et Joan Crawford ?, pour laquelle elle est acclamée chaque soir. Au moment du salut, alors que les applaudissements ne faiblissent pas, Amanda Lear, main sur le cœur, se montre tout de même émue.
« Je dis toujours merci pour tout ce qui m’a été donné.
- Mais vous remerciez qui ?
- La destinée, la chance, le bon dieu… Certes, j’ai aussi vécu des tragédies et des souffrances. Mais dans la vie, il faut toujours voir le côté positif. Je dis souvent, si le verre est à moitié plein, c’est qu’il reste encore pas mal de place pour ajouter de la vodka. »
Une réplique que n’aurait pas reniée la véritable Joan Crawford.
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