vendredi 2 décembre 2022

Amanda Lear: La star française expose ses peintures à Zurich.

 Amanda Lear: «Les fesses, je les réussis plutôt bien»

La star française expose ses peintures à Zurich. L’occasion de parler avec elle de ses modèles masculins, perturbés de poser nus, et de sa relation avec Salvador Dali.

Entretien réalisé par Fabio Dell'Anna pour le journal Le Matin.ch





On connaît très bien Amanda Lear reine du disco et actrice. Ici, c’est Amanda Lear peintre dont on vous parle. «La peinture est mon premier amour et certainement mon dernier», nous dit-elle lors de notre rencontre, mercredi 30 novembre à Zurich, à l’Efficiency Club, où elle expose jusqu’au 16 décembre. Une cinquantaine de tableaux de l’artiste française y sont accrochés. Son documentaire «Queen Lear: les différentes vies d’Amanda Lear» y est également diffusé.



Drôle, franche et bavarde, celle qui a été la muse de Salvador Dali nous raconte le côté insupportable et macho de l’artiste espagnol surréaliste, vante les bienfaits thérapeutiques de l’art et rigole des «hommes qui sont plus complexés que les femmes lorsqu’il s’agit de se mettre à poil».

Amanda Lear, vous êtes souvent de passage en Suisse…


Vous venez de Lausanne? J’adore l’hôtel Beau-Rivage. J’y étais allée pour la première fois avec Salvador Dali. C’était vers la fin de notre relation, il était déjà malade (ndlr.: dans les années 70). En sortant de l’établissement, il a trébuché et est tombé juste devant mes yeux. Voir mon Dali, que je considérais comme un être suprême, par terre comme un vieux qui ne tenait plus debout… Cela m’a choquée.

Vous exposez vos peintures à Zurich. L’une des plus grandes représente Icare, nu, qui tombe après s’être approché du soleil. Quelle est la symbolique de cette toile?


On m’expose cette peinture systématiquement à l’envers! Je leur dis: «Vous voyez bien qu’il tombe!» J’ai fait exprès son sexe en l’air pour qu’on comprenne mieux. C’est une symbolique du showbiz. Aujourd’hui, cela représente parfaitement les influenceurs, ces gens qui cherchent juste à devenir célèbres. Ils s’approchent trop de la lumière, et pouf! on n’en parle plus. Avant les réseaux sociaux, c’était les starlettes… Mais sachez que la célébrité ne rend pas heureux.





Vous rêviez aussi de devenir célèbre, non?


Non. Je voulais surtout quitter ma famille. Je la trouvais minable. Ils avaient une petite vie bourgeoise, trop propre. J’étais plutôt intéressée par les beaux-arts, la vie de bohème, les artistes et les gens qui fumaient de pétards…

À quel âge avez-vous quitté le berceau familial?


Très tôt. J’avais 15 ans et je suis allée à Paris. Je me suis inscrite aux beaux-arts, puis je suis partie au Central Saint Martins College, à Londres. Comme je ne fréquentais que des artistes, je m’intéressais surtout à la peinture. Mais ce rêve ne s’est pas réalisé tout de suite… Complètement par hasard, on m’a demandé si je voulais être mannequin. J’ai accepté car j’avais besoin d’argent pour payer mes études. Le reste s’est enchaîné très vite: la musique, le théâtre, le cinéma… Sans jamais oublier que la peinture était ma première passion.

«Toutes mes amies qui ont du succès se droguent, boivent, essaient de suicider ou vont chez le psy. Grâce à la peinture, je suis toujours de bonne humeur»

La peinture est toujours votre passion première?

Oui. Si tout s’arrête demain, j’ai toujours ma peinture. Pour cet art, nous n’avons besoin de personne, c’est ce que j’apprécie particulièrement. Il y a toujours du monde pour faire un disque ou un film. Devant ma toile, avec mon pinceau, je suis tranquille, dans le silence. Comme en cuisine, on ajoute quelques détails pour parfaire le résultat. C’est un travail artisanal et très intime.

Est-ce thérapeutique?


C’est surtout une grande thérapie. Toutes mes amies qui ont du succès se droguent, boivent, essaient de suicider ou vont chez le psy. Ce métier crée beaucoup de problèmes qui engendrent des frustrations. Je vous assure que, grâce à la peinture, je suis toujours de bonne humeur! Je n’ai plus besoin de Prozac ou autres tranquillisants et antidépresseurs. C’est un peu comme la méditation. Cela vous oblige à vous concentrer. Vous oubliez alors les impôts, le compagnon ou autre. D’ailleurs, à travers toutes mes œuvres on remarque quand je suis triste ou frustrée.



Il y a aussi un peu, beaucoup de fesses…


C’est vrai. Le devant je ne sais pas trop le faire. Mais les fesses je les réussis plutôt bien.

Ces hommes nus viennent de votre imagination? Ou ce sont des ex ou des personnes que vous avez rencontrées?


(Elle éclate de rire.) Je cherche toujours des modèles. Les mecs font quand même beaucoup d’histoires. Ils me disent: «Ah, j’aimerais vraiment poser pour vous.» J’accepte la proposition, car la plupart du temps ils sont beaux gosses et bien baraqués. Dès l’instant où il faut se déshabiller complètement, ils font du chichi. Je ne vais pas leur sauter dessus. Il y a une espèce de complexe du mec à poil. De dos, ils n’ont aucun problème, mais lorsqu’il faut montrer le devant ça les enquiquine un petit peu…

Vous dessinez aussi beaucoup de fleurs.


C’est à cause de la Provence. J’ai découvert cette région il y a quarante ans, c’est là qu’habitaient Vincent Van Gogh, Paul Gauguin ou encore Cézanne. Ce n’est pas pour rien qu’ils y sont venus. Il y a un ciel bleu magnifique, une lumière incroyable et une belle nature. J’ai été très inspirée par cet endroit. Malheureusement, Salvador Dali détestait ça. Il n’a jamais peint un bouquet de fleurs de sa vie. C’était trop gnangnan et féminin. D’ailleurs, quand je lui disais que j’étais peintre, il rétorquait: «Oh non, la peinture de femme, ça n’existe pas.»

Il ne vous voyait pas comme une artiste?


Je lui disais qu’il y avait Frida Kahlo ou Mary Cassatt… Il me répondait: «Oui, mais ce n’est pas de la vraie peinture.» En tant que macho espagnol, il considérait la femme comme un objet. C’est-à-dire jolie mais pas créative. «Pour être créateur, il faut souffrir comme Michel-Ange», disait-il. Ça m’énervait beaucoup, c’était un sale con. (Rires.)





Pourquoi êtes-vous restée avec Dali, si sa mentalité vous déplaisait tant?


J’ai découvert qu’il était docteur Jekyll et Mr. Hyde. Il avait une sorte de schizophrénie. Dali en public était odieux, je détestais ce qu’il faisait. Il se prenait pour le roi du monde avec sa moustache et disait des conneries. Tandis que l’homme que j’avais à la maison était exquis et cultivé. Il me faisait le baisemain, me récitait des poèmes de Federico García Lorca. Je suis tombée amoureuse si rapidement du personnage privé que je suis allée vivre avec lui. Je voulais fréquenter le Dali que j’aimais.

N’avez-vous jamais donné votre avis sur son art?


Je n’arrêtais pas de critiquer ses peintures. Je lui disais que c’était à chier, et il me répondait: «Mais taisez-vous, cela s’est vendu déjà à 600 000 dollars.» Il revenait toujours au côté commercial, ce qui me chiffonnait beaucoup.

N’est-ce pas inévitable de penser au côté financier après des années dans le métier?


Oui… Les très bons tableaux de Dali étaient dans les années 30-40. Après, pour du pognon, il faisait des cendriers, des cravates, un peu n’importe quoi. Comme tous les peintres, au final.

«Je pensais que Dali et Picasso allaient discuter de leur travail, mais ils n’ont parlé que de cul pendant dix minutes»

Dali s’est-il jamais énervé contre vous?

Il m’avait dit: «Ne me montrez jamais vos tableaux. Je ne veux pas les voir!» Donc la seule fois que j’ai eu le courage de lui présenter une de mes œuvres, c’était une tête d’ange qui n’était pas finie. Il m’a juste dit: «C’est pas mal… pour une femme.» J’étais enragée.

Parmi les tableaux que vous exposez, il y a un portrait de Pablo Picasso. L’avez-vous rencontré?

Non, j’ai connu sa fille, ça compte? (Rires.) J’adore ce qu’il a fait et j’ai failli le rencontrer. Dali allait tous les ans à New York en bateau, car il avait peur de l’avion. Il partait depuis Cannes, où habitait Picasso. Un jour, arrivé sur place, il m’a dit qu’il voulait saluer Pablo, car il ne l’avait pas vu depuis quarante ans. Il lui a téléphoné et j’écoutais d’une oreille toute la conversation. Au bout du fil, Picasso s’est exclamé: «Mais qu’est-ce que tu fais là? C’est génial! Tu es avec ta femme?» Dali lui a répondu: «Non, je suis avec Amanda.» Il lui a vite expliqué qu’il était toujours avec son épouse, Gala, et que j’étais sa muse qui l’accompagnait partout. La conversation a ensuite rapidement déraillé lorsque Picasso lui a demandé: «Mais tu bandes encore?» J’étais halluciné par cette scène. Je pensais que ces deux génies de la peinture allaient discuter de leur travail, mais ils n’ont parlé que de cul pendant dix minutes. C’était deux vieux cons qui échangeaient sur leur prostate. J’étais très déçue. (Rires.)

À Zurich, les visiteurs peuvent aussi voir votre documentaire «Queen Lear: les différentes vies d’Amanda Lear». Vous y mentionnez votre vie durant le Swinging London. Comment était-ce?


J’ai eu la chance d’être présente lors de la période la plus créatrice, la révolution de Mai 68. Il y avait tout le monde, les Beatles, les Rolling Stones, David Bailey, et j’en passe… J’étais au bon endroit au bon moment, j’ai rencontré tous les créateurs à ce moment-là. Cela m’a finalement beaucoup stimulée.

Une rencontre londonienne vous a-t-elle particulièrement touchée?

Bryan Ferry, je pense. Il m’a vue lors d’un défilé et il s’est dit: «C’est la fille que je veux pour la pochette de l’album de Roxy Music.» (ndlr.: «For Your Pleasure», publié en 1973). Je n’avais jamais entendu son nom avant et je lui ai demandé combien il allait me payer. J’ai finalement reçu 25 livres anglaises. C’était lamentable. (Rires.) La photo est devenue mythique alors qu’en réalité c’était épouvantable. Il y avait une vraie panthère qui me faisait peur. Mais elle ne tenait pas debout, car ils lui ont fait une piqûre pour la calmer. Je devais tirer sur la laisse pour lui remonter la gueule. À la fin, ils ont dû redessiner l’animal.

Un mauvais souvenir qui a indirectement lancé votre carrière musicale.


Oui, c’est grâce à ça que David Bowie a voulu me rencontrer et il m’a fait chanter. Tout s’est enchaîné ensuite très rapidement. J’ai enregistré mes chansons à Munich, car tout ce qui était en rapport au disco se déroulait là-bas. Les Allemands ont tenté de faire de moi une Marlene Dietrich disco. Ils me faisaient chanter dans une tessiture beaucoup plus basse que la mienne et misaient sur mes cheveux blonds et ma carrure. Finalement, ils ont vu juste.

Exposition des œuvres d’Amanda Lear à l’Efficiency Club jusqu’au 16 décembre. Oetenbachgasse 26, Zurich.

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